Aix 2004

Clémentine Pascal

- Mini-roman -

de
Nancy Moran, George McJimsey et Sabine Mauri


.....Clémentine Pascal, parisienne de 18 ans, habite dans le 12ème arrondissement. Elle a les cheveux châtains, longs et bouclés, et des yeux marron qui brillent. De petite taille, elle a un esprit indépendant et un comportement plein de confiance qui lui donne l'air de quelqu'un de plus grand. Son héritage français-maghrébin ne lui a pas seulement donné un teint foncé et exotique mais aussi un intérêt profond pour les sujets nord-africains. Elle aime bien flâner dans les petites rues du Quartier Latin souvent à la recherche de bouquins. Récemment elle a ainsi découvert des livres de Gisèle Halimi et les trouve des plus intéressants, surtout La cause des femmes. L'hiver passé, après s'être cassé la jambe, elle a passé deux mois à ne lire que ce livre. Elle raffole de ses idées. L'autre jour elle a vu une affiche annonçant une réunion à la Sorbonne avec cette grande dame des causes féminines, et elle ne veut pas la rater. Très animée et la tête pleine de questions, elle est donc partie de bonne heure et a pris le métro.

.....Arrivée à la porte et quittant la rue bruyante, Clémentine entre dans la tranquillité reposante de la cour intérieure. Des rayons de soleil s'infiltrent parmi les feuilles tendres des platanes qui dégagent une odeur de printemps. Petit à petit, la cour commence à se remplir d'une foule de gens poussant Clémentine vers la porte d'entrée. Tout d'un coup, les gens s'aperçoivent de la présence de Mme Halimi. Se bousculant pour mieux la voir, la foule force Clémentine à l'intérieur. Elle se trouve face à face avec Mme Halimi, une vieille dame de 77 ans.

.....Clémentine, n'ayant jamais connu son père, sait seulement qu'il était d'origine tunisienne. En lisant le livre d'Halimi, elle a appris qu'Halimi, elle aussi, était en partie maghrébine.
- Madame, dit Clémentine en lui serrant la main, je m'intéresse beaucoup à vos livres. La Tunisie, c'est aussi mon héritage et j'essaie de mieux examiner la condition des femmes en Tunisie. J'essaie de le faire tout en achevant mes études en France, ce
qui pose un problème de temps mais je suis très contente que cette conférence se
passe si près de chez moi. Si vous me le permettez, je vous poserai quelques questions après votre présentation.
- Avec plaisir, mademoiselle, et si nous discutions un peu après la soirée ? J'aime bien que la jeunesse française s'intéresse à ces questions, répond Mme Halimi.

.....Une heure plus tard, après avoir fini son discours, Mme Halimi invite Clémentine à aller à un café où elles peuvent discuter tranquillement.
- Vraiment, Madame, vos livres sont tout ce qu'il y a de plus intéressant, dit Clémentine pleine d'admiration.
- Admettons qu'il y ait aujourd'hui une sélection assez répandue sur la cause féminine, mais jadis, quand j'ai commencé à écrire, il n'y en avait pas autant, répond Halimi.
- Me permettriez-vous de vous poser une question personnelle, Madame ? demande Clémentine.
- Volontiers. Allez-y mademoiselle.
- Comment avez-vous surmonté les interdits que la société vous a imposés en tant que femme maghrébine s'intéressant activement à la politique ? Je ne crois pas que cela ait été facile.
- Bien que la politique soit un domaine encore réservé aux hommes, en tant qu'avocate, activiste et femme politique j'ai trouvé certains moyens de m'intégrer dans ce domaine et de faire de mon mieux pour faire avancer la cause des femmes qui m'a toujours paru essentielle et qui me tient à cœur, répond Halimi. Puisque vous vous intéressez tellement à cette question, je vous propose d'aller voir un ancien collègue à moi. C'est un disciple de Michel Foucault qui aborde ce sujet du point de vue du traitement de l'individu dans le groupe. Il habite Poitiers et il s'appelle Jacques Martin.

.....Deux jours plus tard Clémentine se rend à la gare Montparnasse. Après avoir indiqué à l'employé au guichet qu'elle voulait un aller-retour pour Poitiers, elle a appris que le train partirait dans une demi-heure. Dans la salle d'attente la télé présente la météo du jour. Le présentateur explique qu'il fera beau avec de petits nuages pendant l'après-midi. Arrivée à Poitiers à 14h, Clémentine quitte la gare et cherche le chemin le plus court pour la cité universitaire. Elle se met en route en cherchant un cadeau pour sa copine Fatima chez qui elle passera la nuit. Dans une boutique elle trouve de belles boucles d'oreille pour sa copine. Arrivée devant la porte de la chambre de Fatima, elle trouve facilement la clé cachée. En entrant, Clémentine met son blouson sur le porte-manteau juste à coté de la porte et regarde la chambre ensoleillée. Sur le lit couvert d'un drap de style tunisien il y a de grands coussins carrés de couleurs variées. Contre le mur s'appuie une table étroite sur laquelle se trouvent des livres empilés. Au-dessus, attaché par des rubans, s'étend un tapis artisanal.

.....En regardant la table de plus près, Clémentine aperçoit un article intitulé Le Professeur Jacques Martin dénonce Foucault ! Etonnée, elle commence à parcourir le texte qui explique qu'après avoir enseigné les idées de Foucault pendant vingt ans, Jacques Martin a fini par les réfuter. Peut-être qu'elle est venue à Poitiers en vain ? A vrai dire, elle avait déjà eu des doutes avant de venir mais elle voulait suivre les conseils d'Halimi. Alors, quoi faire ? En fait, la décision fut vite prise ; elle sort de l'appartement et reprend son chemin vers l'université. Elle avait rendez-vous à la Médiathèque François Mitterrand à 14 heures.

.....A l'entrée, elle passe par la loge et elle se renseigne auprès d'une des bibliothécaires afin de trouver le bureau de M. Martin. En traversant la salle centrale d'un style moderne et pleine d'étagères tout au long des murs, elle arrive au bureau sans difficulté. Elle est bien surprise de trouver affichée à la porte un portrait au-dessus duquel, en lettres majuscules, se trouve la citation de Chateaubriand, " Cet effrayant génie se nommait Blaise Pascal ". Elle sourit en se rendant compte du fait que M. Martin rend hommage à l'un de ses ancêtres dont l'esprit profond coule encore dans ses veines. Ainsi frappe-t-elle à la porte de la découverte.
- Entrez.
- Bonjour, Professeur Martin. Je m'appelle Clémentine Pascal. Je suis venue vous voir après avoir parlé avec Mme Halimi qui m'a recommandé à vous. Je m'intéresse beaucoup à la cause des femmes et je voudrais vous demander si vous pouviez m'expliquer le lien entre les idées de Foucault et la condition féminine actuelle.
- Bien sûr. Je suis content que l'article controversé qui a paru dans le journal ne vous ait pas détourné de votre piste. Comme vous savez, Foucault se focalise sur la question des structures du pouvoir. Ces structures ont depuis longtemps servi à maintenir les divisions entre les sexes aux niveaux politique, social et économique. C'est en déconstruisant ces structures misogynes que les femmes réaliseront leur but de parité.
- Pourriez-vous me donner des exemples de ces structures ?
- Pensez simplement à certaines structures linguistiques : beaucoup de professions n'ont qu'une forme au masculin, dans une salle remplie de femmes et d'un seul homme, on dit toujours " ils ". Comme la langue est au fond de notre pensée et formalise la manière dont nous nous exprimons, il est essentiel de reformer ces structures linguistiques. Créer ces nouvelles structures, c'est aussi nous forcer à accepter de nouvelles vérités.
- Si l'on mettait ces changements linguistiques et que la société les accepte, est-ce que la condition féminine s'améliorerait vraiment.? Ou faudrait-il d'autres changements.?
- Dès que la société s'adaptera on sera sur le bon chemin. Si vous avez lu l'article qui a paru récemment, vous avez sans doute remarqué que mes idées sont mal comprises et que la vérité demeure un mystère.

.....Clémentine quitte le professeur en le remerciant. En retrouvant son chemin vers la cité universitaire, elle réfléchit sur ce que lui a dit le professeur. Comment pourrait-on instituer de tels changements ? Faudrait-il commencer par les jeunes.? Peut-être que les facultés de langues étrangères pourraient s'organiser.? Peut-être faudrait-il le soutien de l'Académie Française.? Le professeur avait dit que ce serait un bon début. Elle finit par décider de discuter de ses idées avec Fatima une fois rentrée chez elle.

.....Clémentine trouve Fatima allongée sur le lit feuilletant un magazine d'actualités. Les amies s'embrassent et commencent à bavarder.
- Cela s'est bien passé.? Tu as retrouvé le professeur.? Est-ce qu'il t'a dit des choses intéressantes.?, demande Fatima. J'avais peur que tu sois déçue à cause de l'article.
- Ah non, bien au contraire, je l'ai trouvé accueillant et intéressant. Il m'a dit qu'il ne fallait jamais se décourager. Il paraît que le journaliste s'est trompé, répond Clémentine.
- Que la presse se trompe tant est étonnant, murmure Fatima.
- Pour que les femmes trouvent leur place dans la société, il m'a dit que nous devrions - à priori - reformer nos structures linguistiques. Une fois ce travail fini, nous devrions ensuite nous occuper de la vie politique et des questions portant sur le travail et la vie au foyer.
- Non, s'exclame Fatima avec force, voilà un bon exemple du raisonnement des hommes. Il faut toujours que nous, les femmes, nous patientions. A bas, les hommes, qu'on les arrache de leur palais du pouvoir ! Il faut agir maintenant ! Aux armes !
- Mais, Fatima, calme-toi. Ne t'en fais pas ! On y arrivera, mais doucement ! dit Clémentine en éclatant de rire. Fatima, toujours la révolutionnaire !

.....Les deux amies bavardent encore un peu et puis sortent pour trouver un bistro. Le lendemain, Clémentine remonte à Paris où elle arrive enthousiaste et inspirée. Elle décide de se rendre au Musée d'Orsay afin de se détendre un peu devant ses tableaux impressionnistes préférés. Depuis son enfance, elle s'intéresse à la manière dont les artistes impressionnistes représentent la réalité dans leurs œuvres. La première fois qu'elle était allée au musée elle avait été frappée par le contraste entre le tableau réaliste de Courbet L'enterrement à Ornans et le style impressionniste. Comment pourrait-on avoir deux telles interprétations de la réalité si différentes ?

.....D'après le tableau de Courbet, les réalistes ont représenté un monde assez sombre où la lumière éclaircit non seulement les traits physiques des sujets mais aussi leur classe sociale. Le paysage s'y impose peu sauf comme cadre pour l'enterrement qui a attiré tout le village.
Le tableau présente une scène caractérisée par des teintes foncées et par le noir dominant et ténébreux d'un événement morne. Par contre, les tableaux des Impressionnistes se montrent pleins de lumière qui met en relief les couleurs vives de la vie quotidienne. Comme le jeu des enfants dans tous les tableaux est animé ! Et c'est la qualité de la lumière qui le fait. Où se trouve la vérité ? A chacun de choisir.

.....En descendant l'escalier du musée, encore perdue dans ses pensées, Clémentine se heurte contre quelqu'un.
- Pardon, dit-elle en levant la tête.
- Ce n'est pas grave, mademoiselle, dit le jeune homme devant elle. Vous aviez l'air très préoccupé. On se connaît ? Il me semble que je vous ai vue à la conférence de ma grand-mère Gisèle Halimi.
- Mais oui, répond-elle étonnée et contente, on prend un verre ? . . .

.....Fin ou début ?

George, Nancy et Sabine


Marius et Marie-Chantal

- Une correspondance -
de
M
ichele Barbian, Annie Knudsen et Suzanne White

....Marie-Chantal, assise sur son lit Louis XIV, regarde les vagues de la mer Méditerranée, qui lèchent les plages sablonneuses de Monte Carlo. Poussant un gros soupir, elle se tourne lentement vers la glace dorée pour regarder sa robe Chloé. Cette robe rose, déjà fatiguée, l'ennuie. Que faire ? Fouiller les collections sur le boulevard Louis II ? Se faire faire les ongles ? Téléphoner à sa copine Juliette ? Défaire les valises de son voyage à Bali ? L'appel de la cuisinière la sort de sa torpeur, et , résignée, elle descend, une fois de plus, manger seule à cause de l'absence constante de ses parents. Sa démarche lente, son regard distrait reflètent son manque d'enthousiasme pour la vie.

....Marius, enfournant les baguettes, pense aux premiers vers qu'il avait écrits avant d'arriver à la boulangerie familiale. Poussant un gros soupir, il regarde l'horloge ancienne de son grand-père pour voir combien de temps il lui reste avant de quitter ce lieu d'apprentissage. Ce poème serait destiné à qui ? A un amour éternel qui aimerait comme lui le parfum des champs de lavande en été, le bruit doux de l'eau dans les ruisseaux au printemps, la brume matinale en automne et la lecture devant un feu de cheminée en hiver ? L'odeur de brûlé le sort de sa rêverie et ses mains rudes enlèvent précipitamment le pain avant que son père ne lui fasse des reproches. Son petit corps musclé travaille d'une manière systématique tandis que son esprit s'aventure près des calanques.


....Salut Marie-Chantal,
....Ça va ? Moi, plus ou moins. Ma famille m'ennuie, comme toujours, alors je passe mes journèes à la plage ici à Biarritz où je n'ai rencontré personne d'intéressant. La nuit, je m'enferme dans ma chambre en passant des heures devant mon ordinateur. Tu ne devineras jamais ce qui s'est passé : j'ai pris contact avec Marius, quelqu'un qui habite le Luberon. Il a l'air bien sympa, mais il n'est pas de mon goût. Tu sais, moi j'aime les couche-tard réalistes. Lui, il est plutôt romantique et matinal. Peut-être devrais-tu te mettre en contact avec lui. Si ça te dit, voilà son courriel : cyrano23@wanadoo.fr. Je lui ai déjà parlé de toi.
....Je t'embrasse
....Juliette

....Coucou Juliette,
....J'ai été heureuse de recevoir ton e-mail. Tu as raison, je pense aussi qu'on s'ennuie dans la vie. Au moins les plages à Biarritz sont-elles plus sauvages que celles de Monte Carlo. N'y a-t-il pas de beaux garçons à rencontrer ? Et ce Marius ? Tu veux vraiment que je prenne le relais ? Son caractère romantique, dont tu m'as parlé, m'intrigue. En plus, je n'ai rien d'autre à faire maintenant. ....Cependant, j'hésite à correspondre avec un inconnu. S'il habitait à Monte Carlo, je pourrais aller le voir, mais ce n'est pas le cas. Cela dit, il serait peut-être intéressant de découvrir quelqu'un de la campagne. Bien sûr, en ce moment, il est vrai que mes parents se fâcheront, s'ils apprennent que je crée des liens d'amitié avec un paysan. En fait, c'est pourquoi je décide de poursuivre cette idée. Imaginons qu'il soit mon prince charmant. Merci pour cette merveilleuse idée.
....Ta copine
....Marie-Chantal


....Salut Marius,
....Cet e-mail ne vient pas d'une étrangère mais de la meilleure copine de Juliette. J'habite Monte Carlo et ma chambre donne sur la mer. En ce moment, je suis emprisonée à la maison, parce que mes parents sont en voyage dans les Iles Caraïbes, et Juliette est à Biarritz. Elle m'a dit qu'elle n'aurait pas vraiment le temps de correspondre avec toi. Donc, elle m'a demandé si je voulais t'envoyer un petit mot.
....Je suis censé réviser mon cours de maths cet été, parce que dans cette matière je n'ai pas eu la moyenne l'année passée. Mon lycée, Albert Ier, est vachement difficile. Mes parents veulent que je prépare le Bac S, parce que ça me permettra d'intégrer X, la Grande Ecole Polytechnique à Strasbourg, mais je m'intéresse plutôt à la langue et à la littérature. Mon professeur de maths, M Martin, est mon tuteur. Il a insinué que je n'y arriverais jamais. Mes parents sont d'un autre avis et ils m'ont promis que, si je réussissais au bac, ils me paieraient un voyage avec un ami. Moi, ça m'est égal.
....Et toi, qu'est-ce que tu fais pendant les vacances ?
....Marie-Chantal


....Marie-Chantal,
....Quelle surprise et quel bonheur ! Ta confiance me plaît. Quand je ferme les yeux, j'entends le bruit du mistral qui traverse la forêt comme les vagues dans la mer et cela me rapproche de toi, enfermée et seule, comme une princesse dans une tour. J'imagine ta chambre comme celle décrite par Baudelaire : " des meubles luisants, polis par les ans ", " Là, tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté ". Le soir, je rentre du travail, épuisé, et je m'assieds sur la terrasse où j'entends les cigales qui chantent dans les chênes . . . " La Nature est un temple où de vivants piliers laissent parfois sortir de confuses paroles ". Les maths, quelles confuses paroles ! Moi non plus, je n'ai jamais trouvé ma Correspondance dans les maths. Une fois que tu termineras tes études d'été, quels auteurs t'accompagneront dans tes voyages ? Bernard Henri Lévy ? Victor Hugo ? Tahar Ben Jelloun ?
....Mes loisirs ? Le matin, j'embrasse l'aube comme Rimbaud et je compose les premières strophes de mon prochain poème. Et toi, que fais-tu quand tu ne meurs pas d'ennui devant tes calculs de maths ?
....Avec toutes mes amitiés
....Marius


....Marius,
....Il est 11h00 du matin et je réponds à ton e-mail. Je viens de me lever. Tu m'as demandé ce que je faisais quand je ne révisais pas. Hier, par exemple, je suis allée au café avec mes amis où nous avons parlé de nos derniers achats. Moi, j'avais trouvé des lunettes de soleil de Dolce et Gabbana, qui sont tout à fait à la mode en ce moment. Ensuite, j'ai essayé quelques robes chez " Céline ", mais rien ne me plaisait. Parfois, je vais à la plage avec des copines pour bronzer, mais hier je suis restée à la maison et je me suis reposée au bord de notre piscine.
....Tu m'as parlé de Victor Hugo. Le nom me dit quelque chose. Normalement, je lis des magazines de mode comme " Marie-Claire " ou " Elle ". L'année passée à l'école, j'ai lu " Bonjour tristesse " de Françoise Sagan et je l'ai adoré. Les vacances de Cécile ressemblent aux miennes.
Et toi, que fais-tu pendant tes vacances ? Est-ce que tu viens souvent à la plage ? Aimes-tu aussi aller au café ?
....A la prochaine
....Marie-Chantal

....Chère Marie-Chantal,
....Les vacances, quelle mystère ! Moi, je voyage à travers les lectures et les films. Récemment j'ai vu " Jean de Florette " au cinéma du village. Que ce serait-il passé si Ugolin n'avait pas attaché le ruban de Manon à sa poitrine ? L'amour, doit-il être destructif ? Quand je vais au café avec mes amis nous en discutons longuement, mais comme je n'ai pas encore partagé une amitié avec une femme, mes réflexions ne restent que des hypothèses.
Est-ce qu'il y a une jolie plage à Nice ? J'imagine que oui. Aurais-tu envie de contempler le coucher du soleil avec moi sur le sable pur et blanc ? Si on se rencontrait à la Cours Saleya et qu'on se réunisse au café Thor, je serais enchanté de me déplacer. Mon père me prêtera sa 2CV et mon ami Jean-Baptiste, qui a déjà été à Nice m'accompagnera. Il me montrera le chemin.
....A très bientôt je l'espère
....Marius

....Chère Juliette,
....Dans quelle situation est-ce que tu m'as mise ? Hier, j'ai rencontré ton Marius au café à Nice. Quel cauchemar ! Ça m'étonne qu'on se soit fait prendre au piège. J'ai vu arriver un petit abruti habillé en salopette avec un tee-shirt jaune citron, des tennis de Monoprix et une rose fanée. Je craignais qu'il se mette à ma table. Il s'est approché de moi et m'a demandé si j'étais la Marie-Chantal de ses rêves. Moi, je ne savais pas quoi dire mais j'ai fait signe de la tête. Il a commandé un coca tandis que moi, j'avais déjà demandé un diabolo-menthe. Il s'est mis à me réciter des vers de poèmes jusqu'à ce que je le supplie de se taire. Il a été un peu déçu mais par la suite, m'a demandé si je voulais faire une promenade. Ce crétin croyait que les plages de Nice étaient des plages de sable. J'ai failli refuser de monter dans sa voiture " boîte de conserves ". Pendant la balade il m'a pris la main. Qu'il dégage ! Heureusement, son ami est apparu à cet instant-ci et a demandé qu'ils rentrent. Ton prochain " Marius ", garde-le pour toi.!
....Je t'embrasse quand-même
....Marie-Chantal

....Marius,
....Je pars en voyage. Je n'aurais pas d'e-mail. Que tu te trouves une autre correspondante.
....Marie-Chantal

....A qui veut lire ces lignes,
....Pourquoi ai-je mérité une telle déception ? Mon cœur, brisé, ne s'en remettra jamais. " Il pleure sans raison dans ce cœur qui s'écœure. Quoi ! nulle trahison ? … " Moi, qui avais tant souhaité que cette rencontre mène à une amitié sincère. Pourquoi m'a-t-elle rejeté ? A cause de mon bavardage ? Elle s'est montrée indifférente à ma poésie. Mon ami, est-il venu au mauvais moment ? Lui ai-je pris la main trop tôt ? Je n'avais que des intentions pures. A-t-elle eu peur de moi ? Je ne le saurai jamais puisqu'elle m'a envoyé une lettre d'adieu. Au moins ai-je eu l'opportunité de quitter mon village et de connaître une grande ville. Cette visite rapide me servira d'inspiration pour mon prochain poème : " Espoir abattu par un galet de plage niçoise " .
....Chers lecteurs et chères lectrices, j'attends vos conseils avec impatience.
Marius du Luberon

Annie, Michele et Suzanne

 

Sylvie et Théo

- Une correspondance -
de
J
ennifer Mader et Julia Morgan

 

Les personnages :

Théo

....On l'appelle Théo, un gamin de treize ans, à peine. On remarque tout de suite, en regardant son visage, ses origines méditerranéennes. Peau bien bronzée, cheveux d'un brun pareil à ses yeux noisette, nez noble s'étendant de son front jusqu'à son énorme lèvre supérieure, Théo aime bien se regarder dans le miroir. Théo, nom écrit avec un T majuscule malgré la petite personnalité du garçon, se croit marginalisé dans le monde des grands. Lorsque le petit se trouve entouré d'adultes, il fait toujours semblant d'être malade ou bien trop chargé de devoirs pour ajouter le moindre mot à la conversation. Il va sans dire qu'il se sent plus à l'aise au milieu de sa bande de copains. Mais peut-être est-ce parce qu'il a du mal à s'exprimer à cause de son appareil dentaire. On ne sait jamais. L'appareil n'était pas son idée, mais il le porte sans rien dire. Sa sœur lui a assuré qu'il aurait plus de succès en ce qui concerne les filles s'il avait un joli sourire à l'américaine, mais il ne s'intéresse pas beaucoup aux filles en ce moment. Vu de l'extérieur, son monde semble assez réduit. Sa grand-mère lui suggère de temps en temps d'aller dehors jouer avec ses copains. Mais cela ne l'intéresse pas non plus. Il ne s'intéresse à rien. Il ne fait rien. Rien du tout.

Yasmine

....Elle a treize ans mais elle a l'air d'en avoir 17 à cause de sa grande taille et de son visage sophistiqué. La cadette d'une famille de 6 enfants, elle n'aime pas passer trop de temps en famille, préférant sortir avec ses amis. Etant une fille assez superficielle, elle n'aime pas tellement écrire et elle trouve la correspondance embêtante. Elle connaît Théo depuis 10 ans, depuis presque toute sa vie, puisque leurs parents sont des amis de l'université. Ce sont leurs parents qui les ont présentés l'un à l'autre.


Sylvie

....Jeune fille de 13 ans, Sylvie habite à La Rochelle avec ses parents et ses deux frères aînés. Assez indépendante et consommée par ses pensées (elle espère devenir écrivain), elle aime bien le style de Saint-Exupéry ainsi que sa pensée et ses descriptions. Grande pour son âge avec les cheveux et les yeux bruns, elle ne se croit pas belle, mais en fait elle a une beauté naturelle qui la rend gracieuse. Plus mûre que ses camarades, frustrée par les filles trop féminines (qui sont bêtes) et par les garçons adolescents (comme les amis de ses frères), elle a un petit cercle d'amis très fidèles et elle se réfugie souvent dans son propre monde. Un peu timide, elle développe lentement sa confiance en quelqu'un. Pour les gens, elle a fréquemment de grandes espérances qui sont malheureusement souvent déçues

 

Les lettres :

....Chère Sylvie,
....Comme tu le sais par mon coup de fil, j'ai une correspondance avec ce Théo. Nos parents sont d'anciens amis et j'ai renouvelé mon amitié avec lui récemment grâce au Journal Spirou. Malgré le fait que Théo soit vraiment très gentil, en fait, je ne peux plus continuer cette correspondance parce que je pars en vacances et aussi Théo m'écrit si souvent que je n'ai même plus le temps de lui répondre (tu sais comme je suis toujours occupée). Je ne sais pas quoi faire !
....Bisous,
....Yasmine

....Coucou toi,
....Merci de m'avoir envoyé un petit mot. Pas de grandes nouvelles à te dire. Mes vacances ne sont pas tellement intéressantes puisque je reste à la Rochelle jusqu'à la fin de ce mois. Mes frères continuent à m'énerver, comme d'habitude. C'est chouette que tu aies fait la connaissance de ce type sur Internet ! C'est bizarre que vos parents se connaissent déjà ! Tu sais, j'aimerais bien faire la connaissance de quelqu'un de cool comme ça, de quelqu'un avec qui je pourrais parler facilement. Toutes mes copines sont parties en vacances et les copains de mes frères sont nuls, vraiment embêtants. Réponds-moi vite !
....Bisous,
....Sy-Sy


....Sy-Sy,
.... J'ai une idée fantastique ! Si tu faisais la correspondance avec Théo ? Je crois qu'il aimerait plus t'écrire que m'écrire (en fait tu t'intéresses plus à ce genre de choses que moi). Qu'en penses-tu ?
.... Gros bisous,
....Yasmine

....Ya-Ya,
.... Quelle bonne idée ! J'aimerais bien écrire à ton Théo. Donne-moi son adresse.!....Bisous,
.... Sy-Sy

....Chère Théo,
.... Je m'appelle Sylvie et je suis la meilleure amie de Yasmine. Elle part en vacances bientôt et elle m'a demandé si je voulais continuer cette correspondance avec toi. Tu es d'accord ?
....J'habite à La Rochelle comme Yasmine. J'ai 13 ans et je suis au collège. Ma famille et moi, nous habitons en ville dans un appartement sympa. J'ai deux frères qui ont 15 et 17 ans et qui vont au lycée, mais ils sont tellement occupés avec leurs amis que je les vois très peu. Mes parents me disent que j'ai la chambre la plus belle de l'appartement à cause des affiches et des photos que j'ai mises sur les murs. J'aime bien acheter les affiches de mes livres et films favoris (comme Harry Potter, et Le Seigneur des Anneaux). Evidemment j'aime bien lire et voir des films, et aussi j'aime participer aux clubs d'échec, de lecture et de scrabble à l'école. Qu'est-ce que tu aimes faire dans ton temps libre ?
....J'espère que tes vacances d'été se passent bien.
....Amitiés,
....Sylvie


....Chère Sylvie,
....Merci de m'avoir écrit. J'écris à Yasmine depuis quelques semaines mais elle ne m'a répondu qu'une seule fois. Vous êtes copines de collège, alors ? Il y a combien d'élèves dans ton collège ? Mon collège est de grandeur moyenne, il y a 300 élèves. Pendant les vacances de Pâques je suis allé en Angleterre avec ma classe de 3ème pour visiter la ville de Londres et voir ses monuments. C'était notre professeur d'anglais, Mme Béatrix, qui avait organisé le voyage. Nous étions accompagnés aussi par trois autres professeurs, celui d'arts plastiques, celui d'histoire géographie, et celle de technologie. Mme Béatrix nous a dit qu'il vaudrait mieux rester en famille pendant toute la semaine. Comme ça nous profiterions mieux de la langue anglaise. Je me suis beaucoup amusé pendant mon séjour. Est-ce qu'on peut participer à des voyages à l'étranger dans ton collège ? C'est très chouette, à mon avis.
.... Bon, ma mère m'appelle à table, donc il faut que je m'en aille.
....Amitiés,
....Théo

....Cher Théo,
....Dans ta lettre tu parlais d'un voyage que ton collège a fait. Moi aussi, j'ai fait un voyage ce printemps avec mon collège au Château de Champignac en Belgique. Tu le connais ? Ca a été un voyage super parce que ça m'a fait penser à Spirou. Dans la bande dessinée le Comte de Champignac (qui habite dans ce château) est mon personnage favori parce qu'il était si intelligent et savait toujours résoudre les problèmes. Les autres élèves n'aimaient pas tellement le château (peut-être l'histoire est-elle quelque chose d'ennuyeux pour eux ?), mais moi j'ai bien aimé son histoire parce qu'elle m'a aidé à mieux comprendre le Comte (cela a enrichi ma compréhension de la bande dessinée). Ce que j'ai aimé le plus, c'étaient les jardins du château : je pouvais imaginer le Comte, Spirou et Fantasio ayant des aventures là ! Si tu as la chance de visiter ce château, saisis-la.
....Il est tard, je dois me coucher maintenant.
....A bientôt,
....Sylvie


....Chère Sylvie,
....C'était pendant ma classe d'histoire-géographie aujourd'hui que j'ai eu l'idée de venir à la Rochelle te rendre visite. En regardant la carte de France, je me suis rendu compte que la Rochelle n'est pas aussi loin que j'avais pensé et que c'est un coin du monde que je ne connais pas très bien. Si ça ne te dérange pas, je voudrais te proposer un rendez-vous pour dimanche prochain au Restaurant des Pêcheurs, 12 rue d'Espagne, vers 14h00. Même si nous ne nous connaissons qu'à travers notre correspondance, je serais ravi de te voir la semaine prochaine. ....Fais-le-moi savoir si ce rendez-vous ne te convient pas.
....A bientôt, j'espère,
....Théo

Journal de Sylvie :
.... J'ai reçu une lettre de Théo aujourd'hui me demandant si on pourrait se rencontrer à La Rochelle. Ce serait la première fois que nous nous verrions. Ai-je vraiment envie de le rencontrer ? Au commencement de notre correspondance j'aurais dit Oui, encore que..., mais maintenant je ne sais pas. Ca pourrait être intéressant de voir le garçon qui m'a écrit tant de lettres, si ça améliore notre amitié. Mais mettre un visage derrière ces mots, un visage qui pourrait bouleverser le lien et l'intimité que nous partageons maintenant m'inquiète. Je veux qu'il soit tout comme je l'imagine quand je le rencontrerai, parce que sinon je serai déçue.


....Chère Sylvie,
....Ça fait déjà trois semaines depuis notre rendez-vous à la Rochelle. Il aurait mieux valu que mon ami Sébastien ne soit pas là. Mais comme ses parents sont en Corse jusqu'au 13 septembre, il est obligé de rester avec ma famille. D'habitude c'est un type très détendu, mais je ne sais pas ce qui lui a pris pendant notre déjeuner. Son comportement a vraiment été affreux, et c'est pour cela que je m'excuse. Si j'avais su qu'il s'entendait si mal avec les filles, je ne l'aurais jamais amener à la Rochelle. Quel manque de dignité ! Et quant à moi, la rentrée est arrivée et j'ai l'impression que cette année sera beaucoup plus difficile que l'année dernière. Je ne sais pas si j'aurais assez de temps pour t'écrire comme je le devrais. De toute façon, bonne rentrée. Il est tard et mon frère a besoin de l'ordinateur, donc à la prochaine.
....Amitiés,
....Théo


....Cher Théo,
.... Merci d'avoir fait l'effort de venir à La Rochelle. Si je passe par ta ville cet été, je te le dirai. J'espère que ton ami Sébastien ne s'est pas trop ennuyé pendant notre rendez-vous ; je me suis sentie si mal qu'il n'ait pas fait partie de la conversation plus fréquemment. Je suis désolée de ne pas t'avoir envoyé de lettre depuis longtemps, mais avec mon boulot à la bibliothèque j'ai très peu de temps libre en ce moment. Quand je quitterai mon boulot et que l'école recommencera, peut-être aurai-je le temps de t'écrire plus souvent.
....Cette semaine, Yasmine est revenue de ses vacances en province et je la vois de temps en temps. Elle voulait que je te dise " bonjour ! " de sa part. Autrement, il n'y a rien d'intéressant qui se passe à Le Rochelle en ce moment.
....Que tes vacances se passent bien !
....Amitiés,
....Sylvie


40 ans plus tard…….. La fille de Sylvie :

....Je ne peux pas croire ce que j'ai trouvé ce matin ! En aidant Maman à déménager ce week-end, je suis tombée sur une boîte où il y avait une collection de lettres qu'elle avait écrites à l'âge de 13 ans. J'ai été tellement étonnée de voir ce côté de ma mère que je ne connaissais pas avant. Parfois la vie pèse lourdement sur une femme mariée depuis 30 ans, et on n'a pas souvent l'occasion de voir comment elle était avant son mariage. Dans ces lettres elle parlait comme si elle découvrait le monde autour d'elle pour la première fois. Elle s'exprimait de sorte qu'on sentait bien son envie de quitter la ville de sa naissance. Bien qu'elle n'ait pas trop aimé ce jeune garçon ; ils ont partagé une amitié assez intime. Pour une fille assez maladroite, la correspondance d'un jeune garçon qui habitait loin d'elle représentait un milieu où elle pouvait s'exprimer honnêtement sans craindre de se sentir embarrassée. Il est intéressant pour moi de voir comment ces pensées à cette époque-là se distinguent de celles d'aujourd'hui. Les découvertes qu'elle a faites il y a 40 ans l'ont vraiment marquée pour toute sa vie. Evidemment, la correspondance s'est terminée abruptement (j'aimerais bien en connaître la raison), mais en tout cas, c'est resté quelque chose d'important pour ma mère après 40 ans.

Un mot de Sylvie à sa fille qui a trouvé sa correspondance :

....Après toutes ces années, tu as trouvé la boîte où j'avais mis tous les souvenirs de mon enfance ! Ça me plaît énormément que tu l'aies trouvée. J'avais presque oublié cette correspondance d'été qui s'est passé pendant les années où ma famille habitait à la Rochelle. Pour aider une amie qui partait en vacances, j'ai commencé cette correspondance, il y a 40 ans, avec l'intention de m'amuser pendant l'été. A l'époque, je connaissais très peu de garçons (les écoles n'étaient pas encore mixtes) alors, pour moi, c'était une manière de rencontrer un garçon. Habitant loin de chez lui, j'ai aimé voir une autre ville et une autre vie à travers ses lettres. On avait des intérêts en commun, mais on s'est rencontrés une fois et c'est après ce rendez-vous je me suis rendue compte que l'amitié allait mieux de loin. C'est toujours un bon souvenir pour moi et quelque chose qui me rappelle ma jeunesse.

Jennifer et Julia

 

Solange, Anne-Marie et Julien

- Une correspondance -
de
J
ackie Furrer, Susan Meffert
et Joyce Roush

 

Description des personnages

Solange Charmet

....Solange, une fille des montagnes près de Pau, est le portrait parfait de sa mère, un mannequin très connue dans le monde de la mode. Mais si Solange ressemble à sa mère par sa beauté, elle lui est différente par sa personnalité. Solange est aussi grande que presque tous les garçons de sa classe et, bien sûr, plus grande que toutes les filles. Elle est vraiment fière de sa hauteur et de son corps mince qui ajoutent à ses talents de jeune athlète. Elle court comme une gazelle et fait des randonnés dans les Pyrénées tous les samedis. Comme sa mère, elle a les cheveux longs, bruns, et droits et de grands yeux bruns. Sa peau à la teinte d'olive lui donne une mine très exotique. Elle tourne la tête de presque tout le monde même à l'âge tendre de 13 ans.
.... Malgré l'attention qu'elle reçoit de ses admirateurs, Solange n'est pas gâtée. Elle est très gentille et montre de la politesse à chaque personne qu'elle rencontre. Elle reçoit de bonnes notes à l'école, presque sans devoir étudier, ce qui lui permet d'avoir beaucoup de temps pour inventer des surprises pour sa famille, qu'elle adore, ou des tours qu'elle joue souvent à ses amis. C'est grâce à son rire que ses amis l'excusent toujours.
.... Solange habite à Pau dans le sud-ouest de la France. Pau, situé à une trentaine de kilomètres des contreforts des Pyrénées, est une ville connue pour sa cuisine et ses vins. Du balcon de sa chambre et par beau temps, Solange peut voir ces montagnes majestueuses et mystérieuses. C'est dans les montagnes que Solange échappe à une vie qu'elle considère comme ordinaire.


Anne-Marie Solon

....Anne Marie a 13 ans. Elle habite avec sa grand-mère à Pau en France, ayant perdu ses parents à l'age tendre de 8 ans. Ils ont été tués dans un accident d'avion en Amérique du sud alors qu' ils voyageaient pour assister à une conférence, parce que tous les deux étaient professeurs.
....Anne Marie a les yeux bleus et les cheveux blonds et frisés. Elle est petite mais tout à coup, l'année passée, son corps a commencé à pousser, et maintenant sa graisse de bébé a commencé à fondre. Elle adore sa grand-mère et elle protège fièrement son jeune frère de 10 ans.
....A l'école, Anne Marie se débrouille assez bien maintenant alors qu'il en était autrement après l'accident ; donc, elle a été obligée d'étudier tout le temps pour qu'elle se mettre à niveau dans sa classe. A cause de ça, elle ne fait pas de sport, elle ne fait que ses devoirs et les tâches hebdomadaires chez elle. Sa relation avec son amie, Solange, a beaucoup souffert après l'accident. Solange n'était pas très patiente avec sa souffrance. Maintenant, toutes les deux étaient en train de réparer leur amitié.
.... Elle a un air un peu triste, mais son sourire est comme le soleil qui brille sur le monde.
.... Solange lui a demandé d'écrire à Julien parce que Solange n'aime pas d'écrire et parce que Solange n'aime pas beaucoup Julien - elle le trouve trop sérieux et elle sent qu'il est attiré par elle.

Julien Dupont

....Julien, un jeune Parisien de 14 ans, habite avec sa famille dans un grand appartement dans la rue St. Germain, près du Jardin du Luxembourg. C'est un élève grand, brun, aux yeux bleus comme son père. Ses sœurs, Nathalie et Sandrine, toutes les deux plus âgées, ressemblent à leur mère, une femme d'une quarantaine d'années, blonde, assez petite et très sophistiquée. Julien est très doué à l'école, sympa, assez ouvert et curieux. Le week-end il aime explorer les divers quartiers de Paris, ou bien prendre le train pour découvrir des endroits plus éloignés qui l'attirent pour des raisons différentes. Un jour, en lisant le journal Spirou, il trouve une annonce avec des renseignements pour se trouver des correspondants du même âge ayant des intérêts communs. Il décide de trouver quelqu'un avec qui il peut correspondre et peut-être, un jour, lui rendre visite.


La Correspondance

Solange Charmet
9, rue de Mérens
Pau

Pau, le 10 avril, 1964

....Ma chère Anne-Marie,
....Ayant simultanément les mêmes idées que toi quelquefois, j'ai été bien surprise d'entendre ta voix en décrochant le récepteur - pour t'appeler ! Mais avant de pouvoir te raconter ma liste de doléances, la tempête a coupé la ligne. Et maintenant, je dois t'écrire cette lettre parce que le service est encore interrompu. Tu sais que je n'étudie jamais et que je déteste écrire - d'ailleurs je me demande comment j'ai réussi jusqu'à présent à l'école - mais me voici, dans la chambre de ma mère, en train de regarder toutes ses photos de mannequin et à attendre l'inspiration. Pourquoi l'inspiration ? Parce que j'ai un service énorme à te demander.
....Avant que l'orage maudit ne coupe notre lien vital, je te parlais de Julien, le Parisien qui a trouvé mon nom dans Spirou. Tu te souviens de notre conversation sur lui quand j'ai reçu sa première lettre, n'est-ce pas ? Il habite avec sa famille dans un grand appartement, comme toi, près du Jardin du Luxembourg. De plus, il est très doué à l'école, sympa, curieux, et assez ouvert. Malgré la tristesse qui t'a saisie il y a cinq ans, je vois chaque jour que l'étau se desserre un peu. Alors, j'ai pris la liberté de mentionner ton nom à Julien en lui disant que tu es aussi douée à l'école - toujours de bonnes notes - et très sympa.
....Je sais que tu préfères rester près de ton frère et de ta grand-mère et que tu étudies beaucoup, mais tu es aussi une musicienne qui a du talent. Dans sa dernière lettre, Julien m'a dit qu'il jouait du violon. Voilà la raison parfaite pour lui écrire ! Vous deux pouvez former un duo - flûte et violon. Je blague, mais ce n'est pas une idée complètement bizarre. Je veux, simplement, ma chère, que tu aies une diversion sans risque. D'autre part, Julien m'a assuré qu'il aimerait bien te connaître.
....Après la fin des cours en juin, je vais accompagner ma mère à Nice où l'on va faire des photos pour le magazine Vogue. Ma mère est très délicate et élégante, et elle veut que j'apprenne à être comme ça. Cependant, je préfère faire des randonnées dans les montagnes. Je vais aller avec elle, mais mon cœur restera ici avec mes amis. C'est pourquoi je veux te passer la correspondance avec Julien qui est beaucoup plus à ton goût qu'au mien.
....Qu'en penses-tu ? Ecris-moi bientôt. Je te donne ses coordonnées :
.................... M. Julien Dupont, 38, rue St. Germain, Paris 90016.
....Je t'embrasse très fort,
....Solange


Anne-Marie Solon
Porte no. 3
Pau

Pau, le 12 avril, 1964

....Chère Solange,
....Il est drôle que nous nous soyons téléphonées au même moment. Mais comme je t'ai dit, je veux t' inviter à déjeuner avec Grand-mère et moi. On a un tas de choses à discuter, n'est-ce pas ? Je n'avais aucune idée de ce qui se passait chez toi. Maintenant, je sais tout, merci pour ta lettre.
....Mais ayant reçu ta lettre, maintenant je suis sûre qu'il nous faut nous voir. Viens manger avec nous. Le jardin est tellement beau en ce moment, les petites fleurs commencent à s'ouvrir, les muguets se mettent à fleurir. Nous avons même des arbres en fleurs, comme le pommier que Grand-mère nous a donné à Philip et à moi il y a cinq ans pour commémorer mes pauvres parents. Il a beaucoup grandi cette année et je dirais que c'est à cause de la nourriture que nous lui donnons toutes les trois semaines.
.... Je me sens si contente dans le jardin ! J'aimerais beaucoup que tu viennes partager avec nous ce bel endroit aux murs couverts de lierre.
....Mais en ce qui concerne Julien, je n'oserais jamais correspondre avec lui. J'imagine qu'il est très sophistiqué - un Parisien - mon amie ! Il n'aura rien à faire avec moi. Je suis timide, pas très sûre de moi - comme toi. Je peux assez bien écrire, mais j'aurais peur de lui envoyer une photo.
....Bien sûr, nous aimons tous les deux la musique, mais ... j'ai demandé à Grand-mère si elle croyait que c'était une bonne idée de commencer une correspondance avec Julien. Elle m'a assuré qu'elle trouvait qu'une telle correspondance serait utile, intéressante, en fait, une idée super. Nous avons vraiment de la chance d'avoir une grand-mère si chère. Donc, je vais m'y mettre mais j'ai beaucoup de doutes.
....Je t'envoie de grosses bises ...
....Anne-Marie


Anne-Marie Solon
Porte no. 3
Pau

Pau, le 13 avril, 1964

....Cher Julien,
....Laisse-moi me présenter. Je m'appelle Anne-Marie Solon, une chère amie de Solange Charmet le nom que tu as trouvé dans le journal Spirou. (Je me permets aussi de te tutoyer et j'espère que ça ne te gêne pas !)
....Je sais que tu seras déçu qu'elle ne puisse plus t'écrire. C'est une jeune fille fantastique avec qui tu avais probablement beaucoup, beaucoup d'intérêts en commun. Admettons que je ne pourrai jamais prendre sa place. J'essaierai tout de même de me présenter. Je dois te dire que c'est la première fois que j'écris à un garçon. Je me sens un peu maladroite et ça me gêne. Me trouvant dans cette situation embarrassante, je n'ai pas d'autres possibilités que d'y plonger tout à fait. Alors, j'ai 13 ans. J'ai les cheveux blonds et frisés. Je fais à peu près 1m55 de taille et je suis mince (oh, on peut toujours être plus mince...mais...) Ces jours-ci je passe beaucoup de temps dans mon jardin.
....J'aime la musique - je joue de la flûte. J'apprends à en jouer depuis 7 ans. Je connais les Etudes de Bach et je joue, aussi, mais pas sans fautes, la Sonate Pathétique de Beethoven. Je suis élève au collège à Pau avec Solange.
....Mon petit frère, Philippe, que j'adore, est mignon et intelligent, et il ressemble à notre père qui a été tué avec ma mère il y a cinq ans. Nous habitons avec notre grand-mère.
....Ça a été un tel choc, l'accident nous a beaucoup bouleversés. J' ai dit à Bonne-Maman, justement hier, que j'étais toujours triste quand je parlais d'eux.
Quand je parle de ma grand-mère, ça me fait sourire - elle est si bonne, si géniale, hyper chouette. C'est vraiment une dame très charmante et aimable.
....A la prochaine fois,
....Anne-Marie

Julien Dupont
38 rue St. Germain
90016 Paris

Le 17 avril, 1964

....Chère Anne-Marie,
....J'ai hâte de faire ta connaissance, d'abord en t'écrivant, et plus tard, j'espère, en nous rencontrant. Je dois te dire que j'ai commencé cette correspondance avec Solange pour trouver quelqu'un qui ait les mêmes intérêts et avec qui je pourrais bien m'entendre. Je vois que tu es, comme moi, une étudiante consciencieuse qui s'intéresse à la musique. Mes amis se moquent de moi parce que je suis, peut-être, un peu trop sérieux. Je passe au moins deux heures par jour à jouer du violon. Je voudrais, un jour, jouer professionnellement. Pour me détendre un peu, je me balade dans les quartiers pittoresques de Paris. Ainsi, j'ai trouvé un magasin de violons très rares et de très haute qualité la semaine dernière. Il y avait même un Stradivarius dont j'avais tellement envie.
.... A part la musique, je m'amuse à lire, à voir des films récents et classiques, français et étrangers, et à voyager. Quand je suis à la campagne, j'aime faire des randonnées à pied et aussi à vélo. J'adore rendre visite à mes grands-parents qui habitent dans la vallée de la Loire. J'ai même l'intention de leur rendre visite ce week-end. Je mettrai mon vélo dans le train en espérant qu'il fera très beau pour prendre la route de chez eux au Château de Chambord. On a dit à la météo qu'il ferait un peu nuageux, mais beau ce week-end.
....La prochaine fois je te parlerai plus de ma famille, de mes études, etc. Tout en espérant que tu veuilles continuer cette agréable correspondance, je te dis au revoir maintenant.
....Amitiés,
....Julien


Anne-Marie Solon
Porte no. 3
Pau

Pau, le 20 avril, 1964

....Cher Julien,
....Ça m'a beaucoup plu de recevoir ta lettre. Ce que tu m'as dit du château de Chambord m'intéresse parce que je vais visiter le Château de Chenonceau ce week-end avec Solange et sa famille. C'est dans la même région. Quand je visite les châteaux, je rêve d'être un des personnages qui y a habité auparavant, Diane de Poitiers, la ravissante maîtresse de Henri II, par exemple. Vachement belle, elle est devenue veuve à 32 ans. En attirant le roi, elle s'est faite sa maîtresse après son couronnement. On dit qu' elle l'a encouragé dans sa répression contre les protestants. Mais quand même, elle a fait beaucoup pour favoriser le développement des arts.
....Quand tu as dit que les autres élèves se moquaient de toi, je te comprenais complètement. Je souffre de la même chose des fois ici. J'adore lire, voir les films récents et voyager.
....Mes héros cinématographiques sont Catherine Deneuve et Gérard Depardieu mais celui-ci je ne le trouve pas si admirable dans la vie. Il fait toujours des bêtises, de la drogue ... ; parfois il boit trop. Enfin, je crois qu'il est plutôt bon acteur et qu'il choisit bien ses scénarios. Est-ce que tu as jamais vu Un Homme et Une Femme ? C'est un film magnifique !
....Bon. Ca suffit pour l'instant. Je t'écrirai encore bientôt.
....Avec toutes mes amitiés,
....Anne-Marie

Anne-Marie Solon
Porte no. 3
Pau

Pau, le 30 avril, 1964

....Cher Julien,
....J'ai été tellement bouleversée en recevant ta lettre parce que je pensais que nous avions un rapport spécial. Nous avons déjà partagé beaucoup de confidences, mais si tu ne veux plus correspondre, je comprendrai et je ne t'ennuierai plus.
....Anne-Marie


Julien Dupont
38 rue St. Germain
Paris

Paris, le 3 juillet, 1965

....Chère Anne-Marie,
....Samedi prochain je serai à une heure de route de chez toi et je pensais te rendre visite si tu n'es pas trop fâchée contre moi. Mon ami Paul va m'accompagner. Peut-être pouvons-nous nous rencontrer sur la Place de l'Hôtel de Ville ? Je veux que tu sois sûre de vouloir me rencontrer parce que je sais que ça fait longtemps que nous nous sommes écrit. En attendant ta réponse et en espérant que tu veux me revoir…
....Amicalement,
....Julien

Le journal d'Anne-Marie Solon

....Chère Solange,
....Il a interrompu notre correspondance sans m'avoir donné de raison. ....Maintenant il veut me retrouver. S'il ne voulait pas m'écrire avant, pourquoi voudrait-il me voir maintenant ?
....Chacun de nous a eu une année de réflexions sur nos rapports sans rien faire pour recommencer la liaison. Je ne suis pas sûre que je veuille le revoir. Peut-être se développe-t-il quelque chose ? Je ne sais pas. On verra.
....Anne-Marie

Julien Dupont
38 rue St. Germain
Paris

Paris, le 12 juillet, 1965

....Chère Anne-Marie,
....Quand tu es arrivée au restaurant et que je t'ai vue pour la première fois, j'ai dit à mon camarade, Paul, que nous pourrions peut-être ... même que nous devrions continuer nos rapports par lettres. Paul m'a expliqué que nous habitions loin, l'un de l'autre, et qu'une telle amitié pouvait s'éteindre à cause de la distance. Si l'idée de continuer t'est agréable et que cela en vaille la peine, fais-m'en part. Sinon, je comprendrai. Néanmoins, je te transmets tous mes vœux.
....Ton ami,
....Julien


Anne-Marie Solon
Porte no. 3
Pau

Pau, le 12 juillet, 1965

....Cher Julien,
....J'ai été ravie de te voir. C'est tellement différent de rencontrer quelqu'un au lieu de lui écrire. J'ai eu un peu de difficulté d'abord parce que j'ai cru que tu n'avais plus envie de me voir, mais tout s'est passé si bien, que maintenant j'ai beaucoup envie de continuer. J'ai toujours rêvé de mieux te connaître quoiqu'il arrive. En attendant de tes nouvelles, je t'envoie mes meilleures salutations.
....Anne-Marie

Quarante ans plus tard…
....de la part de Nicole, la fille d'Anne-Marie, qui a trouvé dans le grenier de sa mère une boîte remplie de lettres…
....Elle commence à réfléchir……Mais, qu'est-ce que c'est ? Des lettres de maman.? Quelqu'un qui s'appelle Julien ? Qui est-ce ? Comme c'est bizarre. Je suis curieuse…

Et plus tard…

....Je suis triste qu'elle ne nous ait jamais parlé de cet ami. J'imagine qu'ils étaient amoureux et je me demande s'il est toujours vivant. Il faut le demander à ma mère !

Après le dîner…

- Maman, pourquoi est-ce que tu n'as jamais parlé de cet homme Julien ? Je m'excuse, mais j'étais en train de fouiller dans le grenier et j'ai trouvé une boîte de lettres sur une étagère. C'étaient des lettres entre toi et un homme qui s'appelait Julien. Il y a une cinquantaine d'années. C'est un ancien amoureux ?
- C'est un garçon avec qui j'ai échangé des lettres quand nous étions très jeunes. Je l'ai trouvé formidable et j'aurais eu envie de continuer notre correspondance, mais, lui, il n'a pas voulu. J'ai été accablée de tristesse après la perte de cette amitié.
- Est-ce que tu as jamais essayé de le retrouver ?
- Non. Même si je ne l'ai jamais oublié, je ne lui ai jamais écrit. Et puis, j'ai rencontré ton père deux ans plus tard.
- Eh maman, tu peux peut-être, maintenant, essayer de le retrouver ! Nous pouvons essayer de trouver ses coordonnées sur Internet !
- Oh, je ne pourrais jamais faire ça ! Ça fait trop de temps que nous nous sommes vus !
- Pourquoi pas, maman ? Tu es seule depuis longtemps et peut-être lui aussi ! On ne sait jamais ! Il pense peut-être à toi aussi !

Un mois plus tard...

....après avoir beaucoup réfléchi, Anne-Marie décide de contacter Julien. Nicole avait trouvé son numéro de téléphone et elle l'avait gardé pendant tout ce temps.

- Julien ? C'est toi ? Ici Anne-Marie Solon.
- Anne-Marie ? C'est vraiment toi ? J'ai souvent pensé à toi pendant toutes ces années. Comment vas-tu ?
- Très bien. J'habite toujours à Pau. Ma fille a trouvé nos lettres et m'a encouragée à reprendre contact avec toi. Et toi ? Comment ça va ? Tu habites toujours à Paris ?
- Ben, oui. Ma femme est morte, il y a 10 ans et je reste seul. Mes enfants vivent ailleurs. Et toi ? Tu es mariée ?
- Oui, j'ai été mariée pendant 50 ans. Mon mari, lui aussi, est mort, il y a 3 ans de cela.
- Alors, que penses-tu d'un autre rendez-vous au même café à la Place de l'Hôtel de Ville à Pau ?
- Bien sûr. Je serai très contente de te revoir après toutes ces années.

....Et après leur rendez-vous… ils sont devenus un duo dans plusieurs sens du terme, en ménage, mais aussi, elle, à la flûte et lui, au violon. Ils ont joué sur toutes les places d'Aix, jusqu'à la fin de leur vie, très contents d'être enfin ensemble.

Jackie, Susan et Joyce

 

L'incroyable Voyage de Philippe

- Mini-roman -

de
Patricia Balestra, Jenny Meyer et Elaine Stromquist


....La cloche a sonné. Pour Philippe Martin, lycéen à Martin Luther King Jr. High School à Brooklyn, New York, c'était un son aussi désagréable que la sonnerie de son réveille-matin. Surtout à ce moment-là, avec les examens finals qui approchaient, et la classe de français à sept heures et demie du matin. Philippe, un junior, n'avait eu ni la présence d'esprit, ni le temps de prendre son bon petit déjeuner ce matin-là. Il avait faim, il avait sommeil, et il était très énervé. C'était toujours pareil ; il devait se précipiter pour attraper son bus, pour arriver à l'école à l'heure, pour aller à son casier, et pour se frayer un chemin à travers la foule accablante qui le bousculait dans les couloirs, comme s'ils voulaient tous l'empêcher d'arriver en classe. En fait, il n'avait vraiment pas envie d'y aller, lui-même. La classe de français n'était pas sa classe préférée, pour dire le moins. C'était plutôt un fardeau forcé sur lui par sa famille, censé lui faire apprécier son patrimoine français. Son grand-père, qui vivait avec eux, était un ancien combattent de la Deuxième Guerre Mondiale. Et à cause de son esprit rebelle, fréquent chez les jeunes de son âge, il s'obstinait à ne pas faire très attention à son travail et à rêver pendant la classe. C'était une classe de quatrième année, qui se focalisait sur l'histoire de France, du Moyen Age au présent. Et Philippe, qui s'était obstiné à se montrer blasé pendant toute l'année, commençait à s'inquiéter. Allait-il échouer à l'examen final, et ainsi provoquer la fureur de ses parents ? Découragé, il est arrivé a la salle de classe, et a pris son siège au dernier rang.
....Ironiquement, le professeur d'histoire française était un vieil homme russe qui avait beaucoup étudié le français pendant sa jeunesse à St. Petersbourg. Sergei Ivanovich ne souriait pas beaucoup. Il avait les yeux vacants de quelqu'un qui en avait trop vu dans la vie.
....Cependant ses étudiants l'aimaient beaucoup. Ils trouvaient son accent, qui existait toujours après plus de trente ans, assez charmant. Chaque matin il entrait dans la salle de classe et il mettait son porte-documents exactement au même endroit sur le bureau. Il semblait toujours introspectif et il ne s'occupait pas des particularités insolites de quelques-uns de ses étudiants. Il ne les jugeait pas. Une lèvre percée, des cheveux roses, à son avis, ça ne nuisait à personne. En effet, il aimait leur présence. Ils étaient une curiosité pour lui, une espèce animale qu'il ne comprenait pas mais qui l'amusait beaucoup.
....Mais ce jour-là était différent. Il n'avait pas le temps de les laisser bavarder, de les laisser lui expliquer les mérites de la culture américaine - l'importance de la musique hip-hop, pourquoi Brittney Spears était une grande vedette, comment le sandwich Philly-steak était de la haute cuisine. En effet, on devait se préparer pour l'examen final ! Avec dix siècles d'histoire à réviser on n'avait pas de temps à perdre.
....Il a pris une grande bouffée d'air et il a commencé la révision. Il s'est dit, " si j'avais plus de temps, les étudiants réussiraient mieux . " Mais avec tous les jours de congé qu'ils ont eus ce semestre, il n'a pas eu assez de temps pour finir le programme d'études.
....Et lentement mais avec beaucoup d'emphase et de solennité il s'est mis au travail. Il savait très bien que le Moyen Age n'était pas la période d'histoire préférée de ses étudiants. Dans leur petit monde bien protégé et limité, il était très difficile pour eux d'imaginer une existence sans avion, sans baladeur et sans Internet. Il a remarqué tout d'abord que quelques-uns parmi eux ne faisaient pas attention.
....Il a fait un grand effort pour soutenir leur intérêt. Ses étudiants, étant jeunes, il pourrait peut-être les réveiller avec une histoire d'amour. Alors il a commencé le récit d'une de ses histoires favorites du Moyen Age, celle de Tristan et Iseut :
- Yseut la blonde est une jeune fille de taille moyenne à la peau blanche. Ses lèvres sont rouges comme une rose le matin. Elle a les yeux verts - on dirait que la couleur est comme celle de la mer des Caraïbes quand elle est tranquille et claire. A chaque fois qu'elle voit Tristan, son vrai amour, ses yeux étincellent, aussi brillamment qu'un diamant digne d'une princesse.
....En écoutant son professeur - qui parlait un peu trop - Philippe avait l'air d'être presque endormi. Son copain, Victor, était de l'autre côté de la salle et le regardait. Sans que le professeur s'en rende compte, Victor a lancé un crayon qui a tapé la tête de Philippe. Pour Philippe ce fut comme si quelqu'un l'avait subitement transporté au Moyen Age.
....Se trouvant dans une vaste forêt, le voici qui se promène avec une seule idée en tête : trouver la belle Yseut. Le soleil brûlant, il fallait trouver aussi de l'eau. De loin, Philippe voyait une rivière qui coulait. Il savait, au moins, dans quelle direction il fallait s'avancer, au moins pour le moment. En marchant, il ramassait des fleurs, toujours en pensant à Yseut la blonde. Finalement il est arrivé à l'eau qui coulait. Là au bord de la rivière, il s'est assis pour se bien situer dans ce nouveau monde qu'il n'avait jamais connu.
....De loin, Philippe écoutait les chevaux des cavaliers qui avançaient vers lui. Maintenant il se sentait vraiment au Moyen Âge - tout autour de lui était nouveau ; les bruits, les odeurs, le goût de l'eau. Si seulement il pouvait connaître l'intérieur d'un château !
....Quand les cavaliers y sont arrivés, ils se sont arrêtés pour bien regarder cet étranger qui était habillé d'une manière bizarre - il était sans chapeau, sans bottes, et sans un seul instrument pour se bien protéger ! Mais alors ! , se disaient-ils entre eux, qu'est-ce qu'il fait ce jeune homme tout seul dans une forêt si vaste ! ? Reconnaissant qu'il faudra l'aider, les cavaliers sont descendus de leurs chevaux et ils se sont précipités vers Philippe. Pendant une seconde, Philippe a eu peur. Mais il s'est rendu compte immédiatement qu'ils sauraient peut-être où trouver Yseut.
....Philippe a vite saisi l'occasion de demander, premièrement, s'ils la connaissaient. La question les a étonnés, puisqu'il n'y avait personne dans la région pour qui Yseut était inconnue !
....Les cavaliers lui ont répondu qu'il n'existait personne qui ne la connaissait pas. Ils ont ajouté qu'il était intéressant que Philippe, venant d'une autre terre, connaissait l'histoire de la belle jeune femme. Philippe leur a expliqué qu'il était très intéressé par tout ce qui était français et qu'Yseut était le seul personnage du Moyen Âge qui l'avait captivé.
....Après avoir un peu mangé et bu, Philippe est monté à cheval et ils sont tous partis ensemble à sa recherche.
....Pendant leur promenade à cheval - ils étaient encore loin du château, les cavaliers voulaient en savoir plus sur la vie de Philippe. De quel siècle venait-il ? Qu'est-ce qu'il faisait pour s'amuser ? Comment était son école ? Comment étaient les maisons de son village ? Pour Philippe, toutes ces questions lui donnaient l'occasion de pratiquer son français.
....Philippe leur a ainsi expliqué qu'il venait du 21e siècle, et d'un pays qui, en fait, n'existait pas encore pour eux. Dans ce grand pays, il habitait, avec sa famille, dans une grande maison, construite en 1910. Pour eux, il était presque impossible d'imaginer un temps si loin dans le futur ! Ils continuaient à lui poser des questions. Ils voulaient vraiment savoir comment était sa vie !
Il était 17 heures quand ils sont finalement arrivés au bord d'un lac. Le lac était grand et bleu, entouré par des fleurs et des arbres. De l'autre côté , Philippe apercevait un château ! Ça y est !, se disait Philippe, finalement je verrai Yseut !
....Si Philippe avait grandi au Moyen Âge, il serait maintenant, peut-être à la place de Tristan. Mais alors, Yseut n'a d'yeux que pour Tristan aujourd'hui. Philippe, donc, se contentera de la rencontrer.
....Dans la classe d'histoire française, Philippe a étudié l'histoire tragique de Tristan et Yseut. Il savait qu'Yseut était promise en mariage au Roi Marc et que Tristan, en respectant son oncle, le Roi Marc, n'a jamais rien dit au sujet de l'avenir d'Yseut. Pour Philippe il était difficile de comprendre ce type de loyauté. Comment pouvaient-ils, Tristan et Yseut, accepter leur destin si facilement ? Ce type de mariage arrangé était tellement loin de sa réalité qu'il en est devenu tout triste en pensant aux deux amoureux.
....Mais en ce jour médiéval, où se trouvait Philippe, Yseut n'était pas encore mariée et elle profitait de sa vie de jeune femme. Le matin, elle faisait la grasse matinée et se levait vers 10 heures du matin. Dans son château, Yseut n'était jamais seule - il y avait toujours quelqu'un à sa disposition pour l'aider à s'habiller et pour l'accompagner, pour qu'elle ne soit jamais seule. Pendant la journée, Yseut se promenait dans les champs égayés par des fleurs et se baignait au lac. Le soir, elle mangeait tard, parfois avec ses parents, parfois avec ses amis, et de temps en temps, elle mangeait avec des nobles de pays lointains. Elle aimait toujours partager son beau château avec les autres. Mais, à vingt ans, elle n'avait jamais imaginé qu'un jour elle aurait quelqu'un qui lui rendrait visite de si loin dans le temps et dans le monde !
....Philippe et les cavaliers ont traversé le lac en une heure. Il était 18 heures et le soleil commençait à disparaître. Le coucher du soleil était d'une telle beauté que Philippe en avait presque oublié la beauté d'Yseut. Le ciel déjà rose, les oiseaux perchés dans les arbres qui chantaient dans le crépuscule naissant, et le doux son des vaguelettes sur le bord du lac aidaient à calmer Philippe.
....A leur arrivée, Philippe et les cavaliers ont entendu de la musique et une douce voix qui chantait. Les cavaliers ont su tout de suite que la voix était celle d'Yseut. Philippe a frappé à la porte et la musique s'est arrêtée. La porte, vieille et lourde, s'est ouverte et, de l'autre côté, était Yseut ! Philippe a pensé qu'il allait s'évanouir.
....Les cavaliers et Philippe ont été invités à table et ils ont bien accepté. Là, dans la grande salle à manger, Philippe était à côté d'Yseut mais il est devenu muet ! Après quelques minutes, et un verre de vin, Philippe a pu parler et tous les deux, Yseut et lui, ont bavardé pendant des heures - jusqu'à ce que les bougies se soient éteintes. Il était temps, déjà, qu'Yseut se couche…
-Tu es fatigué Philippe ?, disait Yseut. Il faut se coucher de bonne heure pour pourvoir passer et réussir à l'examen final.
....Examen final au Moyen Âge ? Tout d'un coup, Philippe se réveille et se rend compte que c'était le prof qui lui parlait !
Quelle honte ! Le professeur avait déjà fini le Moyen Âge et il était en train de parler de la fameuse Marie-Antoinette. Philippe n'avait pas encore envie de s'arrêter de penser aux jolies femmes. Pendant que son prof parlait, il rêvait, cette fois encore, qu'il était assis à la grande table du Palais de Versailles, goûtant à tous les repas excellents à côté du roi Louis XVI, et encore plus attirant, qu'il causait avec sa femme, la belle Marie-Antoinette. Cette image lui paraissait si réelle, qu'il a commencé à entendre les voix des nobles, et tout d'un coup, il s'est vu se promenant dans les couloirs du grand palais…
....Marie Antoinette est une femme de grande taille, bien faite, à la posture royale et au sourire fier mais pas dédaigneux. Elle a les mains très fines, les bras longs, et les épaules blanches et délicates - on les dirait sculptées dans du marbre. Ses yeux montrent une naïveté d'enfant, curieusement mélangée avec une espèce de sage tristesse. Douée d'une voix mielleuse et douce, elle s'adresse à tous d'un ton d'une égale bonté. Sa voix dénote un esprit magnanime ; elle projette de la bonne volonté envers tous, sans vraiment sembler comprendre ce qui se passe autour d'elle.
....Philippe s'est aperçu de cette naïveté surtout pendant leur promenade au Petit Trianon. La reine et ses amies avaient mis leurs costumes de bergère, tout ornés d'or et de bijoux, pour jouer dans le petit village féerique qui captait leur fascination pour la vie à la campagne. Philippe arrivait à comprendre l'ironie dans tout cela. Cette gentille personne, avec son jeune mari, qui montrait un pareil niveau de naïveté, était censée représenter toute la France. Et pourtant le jeune couple n'y comprenait rien ! En flânant sur les petits sentiers bordés de cottages charmants et à travers les parcs où des agneaux blancs et des canards bavards mangeaient paisiblement, Marie-Antoinette semblait inquiète.
- Son Altesse me semble un peu préoccupée cet après-midi, a-t-il hasardé poliment. Elle a souri gracieusement, sans répondre. Ils ont continué à se promener à l'ombre.
- Oui, en fait, a-t-elle soupiré, je m'inquiète. On me dit que le peuple français n'est pas content. Et vraiment, je n'arrive pas à comprendre pourquoi. Je ne suis pas la seule, a-t-elle rajouté, vous avez dû remarquer l'ambiance au palais. C'est affreux.
....Philippe se rappelait les motifs de Louis XIV en construisant Versailles pendant son règne : d'abord, pour s'éloigner du même peuple qu'il était censé gouverner, et ensuite, pour surveiller les nobles. Mais maintenant, ce n'étaient plus les nobles qui causaient des problèmes, et Versailles n'était plus assez loin de Paris pour les protéger de l'orage qui s'y tramait.
- Vous savez, a dit Philippe, toujours respectueux, ils sont dans un état pas trop agréable, là, à Paris. Ils n'ont même pas de pain. Confuse, Marie-Antoinette l'a regardé avec de grands yeux :
- Pourquoi ne mangent-ils donc pas du gâteau ?
....Philippe n'a guère eu le temps de réfléchir à l'ignorance désastreuse que cette réponse indiquait. On a entendu le son des pas précipités sur le chemin du jardin, et des voix affolées qui criaient :
- Le peuple se révolte, à Paris ! Sauvez vous, Votre Altesse ! A la protection de la famille royale ! On demande la tête du roi !
....Dans la confusion qui a suivi, Philippe s'est éloigné de sa douce compagne de l'après-midi, bousculé par les bergères et les gardes suisses et par tout ce monde effaré qui réagissait avec panique à l'ombre des arbres majestueux des jardins de Versailles. Il est tombé parmi les cris de " au secours ! " et de " Vive le roi " qui résonnaient des murs du palais jusqu'aux fontaines opulentes de la cour. Tout d'un coup il est tombé - il ne pouvait apercevoir que des pieds bottés tout autour de sa tête.
- On va me guillotiner ! s'est-il dit, paniqué, en luttant pour se lever. Il a été possédé à ce moment-là par l'image d'un homme masqué tout en noir venant vers lui, sa propre tête posée sur une planche en bois, un panier en dessous pour l'attraper, des traces de sang partout sur l'estrade, la foule hurlante, anxieuse d'y voir mélanger le sien… la lame descendait…
BOUM !!! Philippe était réveillé par le son de son manuel d'histoire qui venait de tomber par terre. Il a été étonné d'apercevoir que le prof avait fini son discours sur la Révolution Française, et s'était déjà lancé dans une révision précipitée de l'art des dix-neuvième et vingtième siècles. Il faut dire qu'il n'était vraiment pas admirateur du style artistique de cette époque.
....Philippe a fermé les yeux un instant mais en dépit de ses meilleurs efforts il a commencé à rêver. Devant ses yeux il a aperçu des papiers découpés de Matisse et après quelques instants il s'est vu transporté dans l'atelier de l'artiste. Là, il s'est trouvé entouré d'un mélange incroyable de couleurs, de textures, de formes et de lignes. Et juste en face de lui se tenait debout le peintre lui-même. Il travaillait sur un tableau qui commençait à prendre vie indépendamment de l'effort de l'artiste. La forme de la femme devenait plus animée, plus palpable, même plus réelle que la vie, sur la toile de l'artiste.
....Philippe voulait demander à l'artiste comment il était capable de créer une telle merveille mais il ne pouvait rien dire et il se sentait figé entre le temps et l'espace. Il est resté quelques instants dans cet état étonné mais tout à coup la parole lui est revenue :
- Je suis désolé de vous déranger Monsieur. Je ne sais pas comment je suis arrivé ici. Je n'avais jamais été dans un tel endroit, a expliqué Philippe.
- Votre présence ne me dérange pas, a grogné l'artiste. Je vais continuer à peindre comme toujours. Quand je travaille je suis tout à mon œuvre.
- C'est formidable. Mais moi, je suis lycéen. Mon père veut que je sois médecin, mais je ne vois aucun intérêt dans cette carrière. Je voudrais trouver une profession qui me plaise, a déclaré Philippe.
- Je n'ai pas toujours été artiste , a avoué Matisse. J'avais commencé des études de droit. Cependant je suis devenu malade et à cause de cette maladie toute ma vie s'en est trouvée changée pour toujours. C'est pendant cette période que j'ai été saisi par le désir d'être artiste : Et voilà les résultats.
....Tout en regardant les résultats, Philippe a trébuché sur une petite marche et il s'est évanoui. Quand il a repris connaissance, il était encore une fois dans la classe d'histoire française. La cloche venait de sonner, et son prof le regardait d'un air mécontent. Il a vite quitté la salle de classe et a couru pour attraper l'autobus.
....Philippe est rentré chez lui - épuisé, bouleversé, et ayant extrêmement faim. Il s'est débarrassé de son sac en poussant un grand soupir.
- Ca va, chéri ? a crié gaiement sa mère, le faisant presque sursauter.
- Oui, maman, a-t-il finalement réussi à dire, mais sans vraiment pouvoir le croire lui-même.
- Tu as l'air d'avoir vu un fantôme… tiens, qu'est-ce que tu as ? Tu as peut-être faim ? Je peux te préparer quelque chose ? Philippe a dit " oui " de la tête, avec beaucoup de vigueur.
....Elle a commencé à fouiller dans le frigo, toujours en bavardant. Philippe a reposé la tête sur la table, et a fermé les yeux, mais s'est tout d'un coup rendu compte du danger de ses actions. Il s'est levé avec un tel geste que sa mère s'est arrêtée de parler.
- Mais, vraiment, Philippe, dit-elle inquiète en le grondant doucement, tu ne dois pas être dans ton assiette. Va te reposer. Va, va. Elle l'a poussé, malgré ses protestations, dans la direction de sa chambre. Il a quitté le salon, sans énergie pour se disputer.
....Au lieu d'aller dans sa chambre, ne voulant pas y rencontrer la tentation forte de son lit confortable, il a frappé à la porte de son grand-père. Il n'en avait vraiment pas l'habitude, ayant un peu peur du vieux bonhomme. Mais quelque chose dans les événements étranges de la journée le poussait à lui parler.
....Philippe a attendu à la porte, indécis, ne sachant pas si le vieil homme était endormi, ou si c'était sa surdité qui l'empêchait de répondre. Il allait continuer le long du couloir pour rentrer dans sa chambre, quand brusquement, la porte s'est ouverte, et il a été surpris par le son d'un vieux phonographe.
- Viens ! a aboyé son grand-père. Je veux te faire écouter quelque chose !
....Philippe est entré dans la chambre, timide de nouveau. Il a regardé avec méfiance la machine de laquelle émanait une mélodie lugubre de saxophone, ponctuée du hurlement strident d'un chœur de trompettes - tout cela à travers le crépitement confus du vieil appareil. Puis il a tourné son regard vers son parent âgé, qui parlait sans se rendre compte qu'on ne l'entendait pas.
- …ce qu'on écoutait pendant la guerre, finissait-il de dire, jetant un coup d'œil suffisant à son petit-fils. Ta génération, vous ne pouvez pas l'apprécier, avec le bruit que vous écoutez à la radio. Le jazz, c'est de la vraie musique. Il s'est tu et a regardé par la fenêtre. Philippe en a profité pour baisser le volume du phonographe. Il a regardé son grand-père en silence.
....Grand-père avait de petits yeux enfoncés dans des couches molles de rides. Il avait une bouche déterminée et une voix éclatante. Quand il vous serrait la main, malgré le tremblement des siennes, on pouvait y sentir toute la résolution de son esprit. On ne pouvait rien lui cacher, comme s'il pouvait lire tout ce qu'on avait en tête. Il était strict, effrayant même, mais doué en dépit de lui d'un cœur dont seulement quelques personnes privilégiés apercevaient la profondeur. Son comportement digne n'arrivait pas à déguiser, pour ceux qui le connaissaient le mieux, une sensibilité tendre, inattendue chez un homme qui portait autant de cicatrices dans l'âme.
- Tu aimes ? a demandé Grand-père, de sa façon bourrue. Philippe avait un peu perdu la conscience de l'endroit où il était.
- Pardon ? a-t-il balbutié. Grand-père a gloussé un peu tristement.
- Avec toi, c'est toujours la même chose. Tu as toujours la tête dans les nuages. Philippe a baissé la tête, honteux. Grand-père a fermé les yeux. Il avait l'air de s'endormir.
- Et si on allait dîner ? a dit Philippe, fort. Mais Grand-père avait encore envie de faire souffrir son petit-fils. Sans ouvrir les yeux, il a abordé le sujet dont Philippe avait horreur, surtout de discuter avec cet ancien combattant.
- Et comment se passe le cours sur l'histoire française ? a grogné Grand-père, en ôtant finalement l'aiguille du disque sur le phonographe.
....Dans le silence résultant où résonnait cette questionne odieuse, Philippe a remué sur son siège, et s'est éventuellement rendu compte de l'impossibilité de s'échapper. Grand-père attendait, exigeant.
- Le prof m'a châtié en me disant que je ne faisais pas attention en classe.
- Mais qu'est-ce que tu faisais pour te faire gronder comme ça ?
- Je dormais, a avoué Philippe.
....Il a été soudainement pris par le désir de se cacher, ou peut-être de pleurer, en face du visage tellement déçu et presque révolté de son grand-père. Celui-là a poussé un soupir. Il a ouvert les yeux et a regardé son petit-fils pendant quelques instants, sans parler.
- Tu sais, a presque chuchoté son grand-père, la raison pour laquelle on étudie l'histoire ? Philippe a haussé les épaules, en faisant une tête maussade. Tu sais, a repris son grand-père, avec un regard lointain, ce que je faisais il y a soixante ans, dans le sud de la France, mon pays natal ?
- Vous faisiez parti de la Résistance, a répondu machinalement Philippe, selon ce que sa mère lui avait mille fois répété. Son grand-père l'a regardé fixement, d'un regard pénétrant.
- Et qu'est-ce que cela te dit, à toi ? a-t-il questionné. Philippe n'arrivait toujours pas à regarder son grand-père directement dans les yeux.
- Que vous êtes très courageux, a-t-il essayé timidement, que vous aimez la France ? Que vous voulez bien que je connaisse l'histoire de mon patrimoine ?
- Tu crois que c'est à cause de mon orgueil que je te fais souffrir dans un cours d'histoire française ? a-t-il songé, médusé. Philippe a haussé les épaules. Tu ne pourrais jamais imaginer, a continué son grand-père, tu ne pourrais jamais savoir comment c'était de voir son propre pays détruit devant ses yeux. Mes propres amis… j'en ai vu déportés vers des camps de travail forcé. Imagine cela. Tes camarades de classe, tout d'un coup, partis, quelques uns pour ne plus jamais revenir. D'autres qui mouraient, tous les jours, dans un chaos insensé, dans cette campagne même que nous connaissons depuis l'enfance. Ecore d'autres, envoyés dans des pays inconnus pour se battre contre un ennemi dont nous ne comprenions pas les motifs, un ennemi qui ne semblait même pas posséder de qualités humaines, et que nous haïssions pour cela même. Mais cet ennemi n'était, en fait, qu'un tas d'autres garçons naïfs et confus, juste comme nous.
....Grand-père, ému, devant son petit-fils intimidé, était en même temps torturé par son plus grand espoir ainsi que par sa plus grande crainte : l'espoir de pouvoir communiquer à Philippe la signification de ce qu'il avait vécu, et, semblablement, la crainte de ne pas pouvoir le faire. Le petit avait l'air de vouloir le comprendre. Néanmoins, tous les deux comprenaient qu'il s'agissait d'une expérience qui ne pourrait jamais être expliquée, ni tout à fait se faire comprendre.
- Est-ce que tu comprends, a questionné sérieusement Grand-père, l'élément le plus atroce de la Deuxième Guerre Mondiale ? Ici, il s'est penché vers Philippe, les mains tremblantes, et fixant ses yeux désespérés sur ceux du garçon. Philippe voulait pouvoir répondre. Il souhaitait de tout son cœur ne pas s'être endormi pendant le cours d'histoire française. Mais il se trouvait muet devant une pareille manifestation d'émotion, avec laquelle il avait tellement de mal à établir un rapport. C'est que, a repris le vieux guerrier doucement, c'est la deuxième fois que cela se passe.
....Grand-père s'est tu, se retournant vers la fenêtre, et Philippe, bouleversé, avait l'impression que c'était peut-être le moment de partir. Cependant, bien que l'ayant souhaité pendant tout le discours de son grand-père, il a compris qu'il ne voulait plus s'enfuir devant les serments pédagogiques du vieux sage. Il avait l'impression qu'il commençait à comprendre les raisons pour lesquelles son grand-père avait tellement envie de lui parler de son passé, et, de surcroît, son insistance sur l'importance de l'histoire française. Au lieu de l'attribuer, comme jadis il le faisait, au chauvinisme caractéristique d'un ancien combattant âgé, il se rendait compte, en ce moment, du fait qu'il y avait d'autres motifs chez son grand-père. L'urgence avec laquelle le vieux lui parlait venait plutôt d'un fort désir de se rassurer que son petit-fils n'aurait jamais à endurer la même épouvante qu'il avait enduré, il y a soixante ans.
- Voilà, a dit son grand-père, comme s'il lisait la pensée de Philippe. Que cela ne se passe jamais plus encore. Il y a beaucoup de mal dans le monde, tu sais, beaucoup de mal… mais, tu es jeune, tu n'as pas envie d'écouter les réminiscences décousues d'un vieil homme pendant tout une soirée. Allons, on va dîner. Grand-père s'est levé lentement, s'appuyant sur sa canne.
- Peut-être qu'après, a dit Philippe timidement, qu'après le dîner, vous pourriez m'interroger, et m'aider à me préparer pour mon examen final qui aura lieu cette semaine.
- Mais bien sûr ! a tonné Grand-père avec zèle, On commencera avec le Moyen Age et on continuera jusqu'au présent ! Tout d'un coup, il a eu l'air de rajeunir. Il s'est avancé vers le salon, une nouvelle grimace de détermination sur le visage. Prépare-toi pour un voyage historique, artistique, et littéraire ! Et Philippe n'a même pas eu l'occasion de regretter sa décision avant que son grand-père ne se lance dans une grande diatribe sur les fondations historiques du pays qu'il aimait.

Elaine, Patricia, et Jenny

 

Aurélie, Jean-Marc et Laeticia

- Une correspondance -
de
D
anica Messerli
et Allison Litten

 

Le 2 mars, 2003

....Cher Jean-Marc,
....Je t'écris en espérant trouver un correspondant. J'ai vu ta photo sur le site ".Supers Ados " et je veux en savoir plus sur la Côte D'Azur, là où tu habites. Etant parisienne depuis toujours, je m'intéresse à découvrir des endroits loin d'ici. On est partis en Bretagne tous les mois d'août, mais c'est tout. A part ça, je suis toujours à Paris. J'ai les cheveux bruns frisés et les yeux marron. Je n'ai pas de sœurs ni de frères, et parfois je trouve ma situation nulle. Mon amie Laeticia, qui est ma voisine, a beaucoup de grandes sœurs. Il est marrant de voir tout ce qui se passe chez elle. Ses sœurs sont très sophistiquées et bruyantes. Une de ses sœurs vient de se marier en secret avec un type qu'elle connaît depuis seulement un mois. Laeticia est venue ici se plaindre de cette nouvelle choquante, parce que maintenant ses parents ne vont s'inquiéter que de ça pendant le reste de l'été.
....Moi je suis plutôt timide, mais ça ne me gêne pas parce que j'aime beaucoup lire. J'aime lire des livres policiers palpitants aussi bien que tout ce qui se trouve sur les grandes étagères dans le couloir. Qu'est-ce que tu fais comme passe-temps ? Je n'ai pas une grande quantité d'amis mais puisqu'il y a Laeticia juste à côté, ce n'est pas un problème. Mon père est un homme politique et ma mère est avocate. Ils sont gentils mais ce sont des parents sérieux. Mon père, toujours soucieux, rentre tard et passe le soir au téléphone. Comment sont tes parents ? Il y a aussi mes deux chats qui sont mes meilleurs amis au monde, à part Laeticia, bien sûr. Mes chats, toujours en train de remuer leurs longues queues pour qu'on fasse attention à eux, me font rire quand mon père est collé au téléphone. Ah oui, et je joue du violon. Laeticia et moi, on aime beaucoup la musique.
....Réponds vite s'il te plaît. Je voudrais bien recevoir d'intéressantes nouvelles du lointoin sud.
....Bisous,
....Aurélie


Le 21 mars 2003

....Salut Aurélie,
....Je viens de recevoir ta lettre ; en la lisant je me suis rendu compte qu'une fois j'ai visité Paris quand j'avais huit ans. Un film très célèbre venait de sortir, " Le Septième Ciel, " et j'y suis allé pour regarder la première séance. J'ai fait la connaissance de Vincent Lindon (l'acteur principal), dont j'ai reçu un T-shirt et un porte-clé.
....D'abord, je suis grand et mince. Ma mère me dit toujours qu'il faut manger plus, mais je ne cesse jamais de manger. Je suis un grand joueur de foot et en jouant presque tous les jours, je crois que je vais rester mince aussi longtemps que je continuerai à jouer. Je suis membre de l'équipe ado de Cannes, une forte équipe douée. Sportifs et sérieux, les participants de cette équipe réussissent souvent ; on gagne la plupart des matchs. J'ai les cheveux châtains et de grands yeux verts ; mes amies me disent toujours que j'ai de beaux yeux. J'ai quatorze ans, mais je suis très grand pour mon âge.
....Comme tu le sais déjà, j'habite à Cannes. Mon père est metteur en scène et ma mère travaille dans le bureau d'une agence de talents pour acteurs en herbe. Donc, j'ai fait la connaissance de quelques acteurs célèbres : français, américains et étrangers. Quelquefois les acteurs viennent chez nous pour dîner. Par exemple, la semaine passée Josh Hartnett nous a fait l'honneur de se mettre à notre table. En janvier un bal a eu lieu et j'ai eu l'occasion extraordinaire de danser avec les jumelles Olsen. En dansant (il faut que tu saches que je parais plus âgé que mon âge) on m'a demandé de leur rendre visite en Californie pour fêter leur anniversaire.
....Il faut que je m'en aille. J'ai une répétition de foot ; on a un grand match demain contre les Lyonnais, une équipe assez bonne.
....Ciao,
....Jean-Marc


Le 1er avril

....Cher Jean-Marc,
....Mon amie Aurélie m'a montré ta lettre, à laquelle je m'intéresse beaucoup. ....D'abord, j'ai vu le film " Le Septième Ciel", dont tu as parlé dans ta lettre, et que j'ai beaucoup aimé (je l'ai vu l'an dernier). En fait, je n'ai pas trop aimé Vincent Lindon. Penses-tu qu'il soit beau ? Moi, non. En général je préfère les films dans lesquels jouent de beaux acteurs. Je suis jalouse que tu aies fait la connaissance de Josh Hartnett, que je trouve très mignon.
....Alors, un peu de renseignements sur moi. J'ai 14 ans, je suis brune aux yeux bruns. Je suis assez grande pour mon âge, et assez belle aussi (c'est ce que dit ma mère). Je joue du violon, mais franchement je n'aime pas trop la musique classique. Je préfère la musique populaire, mais comme mon père est pianiste il faut que je travaille sérieusement la musique classique. Ma mère est chanteuse et mes parents voyagent souvent. Ils me laissent avec mes sœurs aînées, qui ont 22 et 17 ans. Ma sœur aînée, qui m'aide avec mes travaux de théâtre et qui suit aussi des cours de théâtre, habitent avec nous. Elle ne travaille pas car le théâtre l'occupe à plein temps. Ma sœur cadette, qui est toujours en ville à faire du shopping, va passer cette année son bac, pour lequel elle n'étudie pas trop. Nous faisons souvent du shopping ensemble ; elle a du flair pour les affaires. Ma mère me donne de l'argent, avec lequel je fais ce que je veux, quand mes parents partent. Comme j'habite à Paris, il y a pas mal de boutiques dans lesquelles j'achète de jolies robes. Je n'aime pas trop étudier, et toi ?
....Je voudrais être soit actrice soit mannequin. J'aimerais visiter Cannes ; si je te rendais visite, m'amènerais-tu dans la ville pour me montrer toutes les maisons des acteurs et des actrices ?
....A plus, écris-moi.
....Laetitia


Le 3 avril, 2003

....Cher Jean-Marc,
....Ta vie à Cannes me paraît intéressante. C'est super que tu aies l'occasion de rencontrer tous ces personnages connus. Moi, je serais ravie de pouvoir causer de tout avec Audrey Tatou ou Julie Delphy. Moi aussi, je vais souvent au cinéma et en plus je regarde beaucoup de films à la télévision. Il y a un film dans lequel joue Julie Delphy qui m'a beaucoup plu. Il s'appelle " Before Sunrise ". Presque tout le film se passe dans un train dans lequel deux personnes discutent et doutent du sens de la vie.
....Moi, je ne suis pas sûre qu'elle ait un sens. Crois-tu qu'il puisse y avoir quelque chose de bien dans toute la souffrance du monde ? Y-a-t-il même quelqu'un qui sache ? J'aimerais bien discuter de toutes ces choses avec quelqu'un, mais Laeticia préfère qu'on parle de vêtements ou de musique. J'aime ça aussi, mais je cherche au-delà de ça à comprendre la vie. Laeticia a dit qu'elle comprendrait la vie dès qu'elle serait célèbre par sa voix, et que maintenant il lui fallait seulement avoir beaucoup d'amis. Parfois mes chats ont l'air de m'écouter d'une façon très concentrée, mais il est aussi possible qu'ils veuillent juste qu'on leur donne à manger. Mais peut-être qu'ils m'écoutent.
....Je voudrais en savoir plus sur tes parents. Pour quels films ton père, dont le travail fait de ta maison un lieu vraiment merveilleux, a-t-il travaillé ?
Qui encore est venu chez toi ? Les jumelles Olsen, dont je tairai les films, sont sûrement très jolies et gentilles. Il y avait peut-être d'autres actrices assises autour de votre table ? Ou bien peut-être y avait-il d'autres beaux acteurs ? J'aurais bien aimé rencontrer Josh Hartnett. Je suis vraiment très intéressée par ta maison toujours remplie de paroles célèbres et jamais, me semble-t-il, comme une maison normale. Mais parfois les acteurs ne parlent que d'eux-mêmes. Je déteste ça, et d'ailleurs, il n'est pas très intéressant d'entendre quelqu'un qui ne parle que de soi et qui ne pense à rien d'autre. Ainsi cela explique-t-il qu'il y ait tant de problèmes dans le monde.
....Alors maintenant, après avoir poursuivi mes pensées partout, je crois être arrivée à la fin de cette lettre. Ecris-moi tes pensées sur le sens de la vie. ....J'attends avec impatience ta réponse.
....Bisous,
....Aurélie


Le 22 avril

....Chère Laetitia,
....Je suis content que les vacances arrivent bientôt. Mais ma mère m'a demandé de faire du travail en biologie et en sciences naturelles pendant l'été. Je n'aime pas trop les sciences et j'ai reçu de mauvaises notes cette année. Je suis fort en éducation physique (c'est évident parce que je suis si sportif), en éducation civique et en allemand. Peut-être mon frère aîné, Benoît, m'aidera-t-il avec les sciences ; notre mère m'a dit que Benoît avait reçu de bonnes notes en sciences et en mathématiques. (En été, il fait si beau à Cannes que je veux bien passer mes journées à jouer au foot dehors. Il est possible que je puisse jouer au foot le soir, quand il fait plus frais mais avant que le ciel noircisse, après avoir passé la journée à travailler avec Benoît.)
....Je suis en troisième au collège Gérard Philippe à Cannes. L'année dernière ma mère a insisté pour que je suive des cours difficiles cette année, mais j'ai pas voulu. Je voulais me consacrer au foot mais mes parents ont déclaré que j'allais étudier l'allemand et le latin, aussi les SVT et la chimie. Je me suis senti submergé de travail ! J'ai bien voulu m'inscrire dans la filière Enseignement Général et professionnel adapté mais mon père a dit : " non, jamais de sa vie." Mais plus je travaille moins je joue au foot, et cela me gène beaucoup.
....Aussi mes parents ont-ils insisté pour que je commence à travailler un instrument musical. Cela me dérange. Le seul instrument auquel je m'intéresse c'est la guitare, car j'écoute la musique rock, dans laquelle on trouve pas mal de guitare électrique. La guitare, j'adore ça. En plus, j'ai vu une guitare dans la vitrine d'un magasin à Cannes ; cette guitare est très belle, faite de bois de couleur miel. Je la regarde avec admiration, mais à distance. Par contre, comme j'ai une préférence pour le foot, la musique ne me fascine pas énormément. Ainsi suis-je plus doué pour les sports que pour la musique, je résiste à cette idée de mes parents. Mon petit frère, Sébastien, joue du piano ; c'est son truc, la musique. Benoît est très intelligent et les études sont extrêmement faciles pour lui. Celui-ci ne doit pas trop travailler à l'école, celui-là ne fait pas de répétition pour réussir dans ses concerts, et c'est moi qui ne trouve du succès qu'avec les sports. Quant à mes parents, c'est le caractère le moins important qu'on puisse posséder. On ne peut rien faire dans la vie avec les sports, dit ma mère, donc je suis le seul enfant à la maison qui ne puisse jamais suivre ses rêves dans le monde du travail. D'une part je partage l'avis de ma mère, que c'est très difficile de trouver du boulot dans le royaume des sports. Mais, d'autre part je voudrais poursuivre mes talents ; je suis fanatique.
....Donc, que penses-tu de tout cela ?! Comment sont tes parents par rapport aux études, à la musique, au shopping ? J'aimerais bien le savoir. Dis-moi !
....A plus,
....Jean-Marc


Le 22 avril, 2003

....Cher Jean-Marc,
....J'espère que tout va bien à Cannes. J'aurais bien aimé avoir une autre lettre de toi déjà dans la main, mais en attendant je vais en écrire une de moi.
.... Au fait, je ne vais pas très bien aujourd'hui. Laeticia devait venir avec moi au magasin, mais elle n'a pas voulu. Mais elle n'a pas voulu non plus me dire pourquoi, et à cause de cela je me sens mal. Normalement elle me dit tout, et ce qui est bien, c'est qu'elle a toujours beaucoup de secrets. Je dois faire mes devoirs, alors je poste cette lettre tout de suite.
.... Aurélie


Le 31 avril

.... Mon cher Jean-Marc,
.... Je suis très fascinée par la vie de ta famille. Il me semble que nos parents ne partagent pas du tout les mêmes avis par rapport aux études. Comme mes parents sont souvent en voyage et que je n'ai que mes sœurs qui s'occupent de moi, en général, je peux faire ce que je veux. Donc, tant que les travaux scolaires ne m' intéressent guère, je me dédie davantage à des activités auxquelles je me passionne (comme devenir mannequin). Mes sœurs et moi, nous sommes plus belles qu'intelligentes. Chacune de nous possède des qualités physiques supérieures, mais aucune n'est vraiment intellectuelle.
.... Par contre, être mannequin, c'est un métier exigeant qui demande qu'on se connaisse bien. On ne peut pas tout simplement être belle et être mannequin sans rien faire. Si ma sœur avait compris cela, elle serait devenue top-modèle. Mais, quand elle a eu fini ses études, elle s'est arrêtée de penser. Si elle recevait un appel d'une agence pour mannequins, elle se prenait déjà pour un personnage célèbre. Un jour, après avoir reçu un tel appel, elle s'est tout de suite réfugiée dans sa chambre pour pleurer parce-qu'on lui avait dit qu'elle n'avait pas de look spécial. Mais il ne faut pas écouter tout le monde ! Quand enfin elle a eu fini de pleurer, elle n'en est point pour autant devenue moins naïve.
.... Cela ne se passera pas comme ça avec moi. Je t'écrirai comment je vais faire dans ma prochaine lettre.
.... Laeticia


Le 23 avril

....Chère Aurélie,
....C'est super que tu aies des chats si intéressés. Dès que je parle à mes chiens, ils ont l'habitude de se mettre à aboyer. C'est un truc que je leur ai enseigné quand j'étais petit. Quand je le faisais, ma mère était assez fâchée contre moi. Elle m'avait dit, " Si tu leur fais apprendre des astuces énervantes comme celles-ci, ce ne sera pas moi qui m'occuperai de ces bêtes si douées, comme tu dis. " Alors, c'est moi qui m'occupe de nos chiens, mais parfois je dis à mon frère que s'il se promène avec les chiens, et leur donne à manger, je lui donnerai dix Euro. Cela marche en général. Cela me donne plus de temps pour me concentrer au foot.
....Pour moi, la vie est très simple, comme les T-shirts américains : " Manger, dormir, jouer au foot. " Quand même, si je m'étais donné à fond dans mes études cette année, mes parents ne me forceraient pas à passer du temps cet été à travailler avec mon frère.
....Tu as l'air très intelligente, beaucoup plus intelligente que moi. Je crois que je ne suis pas le meilleur correspondant pour toi. Je ne suis pas trop intellectuel ; c'est évident, donc je te dis adieu.
....Bon courage avec ta musique et tes études.
....Jean-Marc


Le 5 mai

....Chère Laetitia,
....Je viens de finir un match de foot contre les Toulousains dans lequel on a perdu 4-3, mais c'était un bon match. Il me semble que notre équipe réussit ce printemps et qu'on gagnera le concours régional qui aura lieu à la fin juillet. Ce soir, j'ai envie de sortir avec des amis pour voir le film " Loulou et les autres loups.". C'est un film d'animation qu'un ami de mon père a réalisé ; cet homme m'a dit qu'il ferait venir chez lui les acteurs à condition que je le voie. Ce dont j'ai envie, c'est de voir les visages des personnes dont je ne connais que les voix.
....Etant donné que tu dis que la vie d'un mannequin est assez difficile, j'imagine que tu travailles beaucoup. Il y a pas mal de gens qui pensent que les filles, que passionne la profession de mannequin, font des études plutôt simples. Mais moi, je comprends bien que devenir mannequin c'est comme jouer au foot. Il faut beaucoup s'entraîner, il faut être diligent, il est nécessaire de bien dormir et de bien manger (mais si, il faut manger !) et de bien étudier. Tu passes des heures à regarder des vidéos d' autres mannequins ? Ainsi, tu peux peut-être les critiquer et apprendre les méthodes utilisées par les autres. Je le fais souvent avec le foot et je réussis souvent à perfectionner ma technique. Ni ma mère ni mon petit frère comprennent ce que je fais, mais je suis sûr qu'en étudiant les matchs j'améliore ma technique.
....Je veux bien qu'on se réunisse pendant les vacances d'été. Bien que j'aie un match à Paris le 23 juin, peut-être qu'on peut se réunir à Paris ? Mon père a une réunion l'après-midi de ce jour-là, donc je te donne la responsabilité de choisir l'endroit où on peut discuter. J'aurai fini le match à midi et nous pourrons nous réunir à quatorze heures - tu es d'accord ? Le stade où aura lieu le match se trouve un peu à l'est du centre ville, mais mon frère, avec qui je serai en voiture, se débrouille bien quand il s'agit de conduire dans les grandes villes. Qu'il me dépose à l'endroit de notre rendez-vous à l'heure !
....Je vais expliquer cela à mon père de façon qu'il comprenne bien l'importance de notre rendez-vous. Pendant que je jouerai, mon père discutera avec les acteurs prévus pour son prochain film, un film d'aventure. Je l'ai aidé avec l'intrigue. Pourvu que mon frère Benoît vienne avec nous à Paris pour me regarder jouer au foot, tu feras aussi sa connaissance. Je lui ai parlé de toi et il est heureux d'avoir l'occasion de te rencontrer. Il aime beaucoup les jolies filles !
J'attends avec impatience notre réunion.
....Bises,
....Jean-Marc


Le 9 mai

....Cher Jean-Marc,
....Bien sûr qu'on se verra à Paris. Pendant que vous serez en train d'essayer de gagner le match, moi, je serai en train de magasiner avec ma sœur. Quoi qu'il arrive, même s'il y a des grèves et qu'il n'y ait pas de métro, j'arriverai et je t'attendrai devant le Sacré Cœur à 14h00. J'attendrai là jusqu'à ce que vous arriviez.
....A bientôt,
....Laeticia


Le 27 juin

....Cher Jean-Marc,
....Enfin, ça fait bizarre de t'écrire maintenant que je te connais. Je ne sais plus quoi te dire. Je voulais parler à Aurélie des aventures qui nous sont arrivées ce jour-là, mais je ne sais pas ce qu'elle penserait de notre amitié. Mais vraiment, quand on a vu partir le train avec toi qui étais monté dedans juste pour nous faire rigoler - quelle horreur ! Cette histoire vaut bien la peine de la raconter à quelqu'un ! On ne savait quoi faire ! La tête que faisait Benoît était précieuse. Tu pensais vraiment pouvoir toucher la fenêtre de l'autre côté avant que les portes ne se ferment ? Benoît n'arrêtait pas de se tirer les cheveux ; sans s'en apercevoir, il les a fait se tenir debout comme si de l'herbe poussait sur sa tête. Moi, j'ai eu l'idée de te suivre en prenant le prochain train et je voulais que Benoît reste là, de façon à ce que l'un de nous puisse peut-être te rattraper. Mais Benoît ne voulait absolument pas que je m'en aille seule. A propos, est-ce que tu pourrais me donner l'adresse de Benoît pour que je puisse lui écrire ? Il a été très gentil avec moi, et je voulais le remercier. Quand bien même tu n'étais pas revenue toute de suite, je crois que Benoît aurait su ce qu'il fallait faire.
....Bon, au lieu de continuer à t'écrire, je m'arrête là en attendant ta réponse. ....Tu penses pas que c'est bizarre quand même qu'on se connaisse maintenant.? Ce n'est pas parce-que tu n'es pas aussi grand que tu l'avais dit, d'autant plus que tu n'as pas l'air très sportif ; c'est que, jusqu'à ce que on se soit vu, tu n'étais que des bouts de papier dans la boîte à lettres. Bon, je vais faire jouer mes chats.
....A tout à l'heure,
....Laeticia


Le 4 juillet

....Chère Laetitia,
....Ça a été un plaisir de te voir après nous être écrit si longtemps. Je suis sûr que tu auras beaucoup de succès quand tu deviendras enfin mannequin. Tu es très belle, plus belle que la plupart des mannequins que j'ai vus, et vraiment très sympa. Et j'ai beaucoup apprécié que tu sois venue à mon match de foot (tu as eu de la chance que j'étais sur le terrain de foot quand tu as téléphoné à mon père pour savoir où avait lieu mon match !). J'aime bien Paris et merci de nous avoir montré le Paris des Parisiens. Ta sœur est aussi très sympa, mais en effet je crois que tu auras plus de succès. Tu as un air assuré, ce qui lui manque, et c'est une chose cruciale pour les mannequins.
....Alors, comme tu as passé tant de temps avec mon frère, je vais vous laisser communiquer. Je recevrai de tes nouvelles par lui. Bon courage avec tout.
....Adieu,
....Jean-Marc


Le 2 août 2045

....Salut Raoul,
....Quelle histoire ! Je viens de trouver les lettres qu'ont écrites ma mère et ton père Jean-Marc, mon oncle. Je ne savais rien de leur rapport. Et penser que mon oncle aurait pu être mon père (et moi ta sœur !) ! Oui, c'est vrai que le mariage de Maman et Papa n'a pas duré longtemps (et à mon avis, c'est à cause de la différence d'âge entre eux). Maintenant, lorsque je réfléchis à cela, je me rends compte que les relations entre Maman et Tonton avaient été plutôt difficiles. Tu l'as vu aussi ? Ce n'était pas du tout évident à cette époque-là, mais je savais depuis toujours que quelque chose n'allait pas bien.
....C'est vraiment en ce moment que je voudrais parler à ma mère. Il y a cinq ans ce mois-ci qu'elle est morte (le huit exactement) et comme mon père est parti pour le Canada, il y a huit ans, et qu'il s'est marié avec une Québécoise que je ne connais pas du tout, il me semble qu'il n'existe personne, sauf toi, avec qui je peux parler de tout ces événements. Je veux bien savoir ce que tu penses de tout cela. Ces nouvelles me rendent apathiques.
....Ecris-moi super-vite, je t'en prie !
....Bises,
....Ta cousine Nadine

 

Aline et Laurent

- Une correspondance -
de
S
usie Michel

Le 15 juillet 1939

....Chère Manon

....Voici Aline. Comme tu le sais, ma chère cousine, je suis d'origine française comme toi, mais on est partis pour le Canada pendant huit ans parce que papa y avait trouvé du travail. Cependant, nous sommes rentrés en France juste avant la sacrée deuxième guerre mondiale quand je n'avais que 10 ans parce que, mourant d'une maladie rare et inconnue, Pépé voulait qu'on soit tout près de lui pendant ses derniers jours. Alors toi et moi, on se reverra un de ces jours, j'espère, parce qu'on ne se connaît plus guère après toutes ces longues années. Ça fait longtemps, presque huit ans, que l'on ne s'est plus revues. Mais je n'ai pas trop changé….. Toujours très bosseuse à l'école aussi bien qu'à la maison, je suis de petite taille aux yeux bleu-vert et je porte des lunettes, comme auparavant. Comme tu le sais bien, même quand j'étais petite, on m'a toujours considérée très dynamique et maintenant, ayant un sourire de starlette qui fait venir l'eau à la bouche aux petits garçons dragueurs, je dois te dire que j'en ai rencontré un qui me plaît bien….il s'appelle Laurent….laisse-moi te raconter….

 

Le 16 juillet 1939 (suite de la lettre)

....Alors, tu connais ce beau bracelet en or que Mémé m'avait offert le jour où je suis née ? (Toi tu as le même.) Eh ben, mon amie Margot dont tu avais une fois fait la connaissance et moi nous nous promenions un jour ici près de chez moi. Puis tout d'un coup on a dû courir comme des folles dans une traboule parce qu'il avait commencé à pleuvoir. On s'est mises à rire. Je croyais que ça allait être un bon souvenir mais brusquement je me suis rendue compte que mon bracelet avait disparu. Oh-là-là je me suis mise à sangloter quand je m'en suis aperçue. Margot ne savait ni quoi faire ni quoi dire. Elle insistait pour que j'aille le trouver, mais il n'y avait rien à dire, j'étais toute triste. Et peu après, mon petit ange gardien a apparu ! Il s'appelle Laurent et pendant que je pleurais j'ai entendu sa conversation avec Margot. D'abord il s'est présenté, ensuite il lui a raconté qu'il habitait en Normandie mais que pendant l'année scolaire il allait dans un collège à Aix les Bains en Savoie où il avait participé à l'Atelier Théâtre et à la Chorale, mais qu'il passait ses étés à Lyon.
....Toujours très gentille et respectueuse, Margot écoutait attentivement. Et puis, en lui montrant une petite serviette qu'il a ouverte tout doucement, je me suis aperçue que c'était mon bracelet….ma foi ! Etant sûre de ce fait, mes larmes ont disparu et je me suis approchée d'eux. J'avais eu raison - il avait retrouvé mon bracelet à deux pas de là où l'on était et il a tout de suite supposé que ça devait nous appartenir. Le brave garçon, mon héros ! En voyant mon bracelet dans ses mains, je n'ai pas pu m'empêcher de l'embrasser même avant de me présenter. Et alors c'est ainsi que j'ai fait la connaissance de mon nouvel et cher ami Laurent.

....Cher Laurent
....Je viens d'écrire une petite lettre à ma meilleure amie Manon qui habite la Normandie où elle a beaucoup de soucis à cause des Boches qui occupent sa région. Elle ne s'inquiète pas trop, ce qui me conforte, mais ce dont je me préoccupe c'est de son éducation car c'est une artiste géniale, vachement talentueuse, mais qui ne sait plus assister à ses cours. Or, je sais que vous vous écrivez, ce qui est excellent. Mais ce qui nous effraie c'est le fait que ton père participe comme collabo avec Pétain. On sait bien que ça doit te gêner, mais s'il a déjà travaillé avec Pétain, pourquoi ne t'es-tu pas enfui de ta maison ? Quand j'ai su que mon oncle collaborait avec Hitler (tonton habite l'Allemagne), je n'ai plus voulu le revoir. Or, je sais que ce n'est pas la même situation avec ton père car c'est plus compliqué d'éviter un père qu'un oncle, mais si tu lui avais demandé de ne pas collaborer et qu'il l'eût fait, peut-être n'aurait-il pas renoncé à participer ?

Le 1 août 1939

....Ma chère Manon
....Je me rends compte du fait que tu es profondément amoureuse de Laurent, mais il faut que tu saches que moi aussi je le suis. Avec cette situation compliquée par la guerre, quand-même, il n'est pas évident de juger de telles émotions. Si on pouvait tout changer et qu'on puisse lire l'avenir, serions-nous encore amies si Laurent était mon copain à moi ? Toi tu m'es la plus chère amie au monde, et si je devais choisir entre vous deux, sois-sûre que je te choisirais.
Le problème donc est la guerre. Je me sens très attiré par Laurent comme je t'ai dit, mais attention, il y a toujours Maximus !

....Cher Laurent
....Bien que nous ayons exprimé nos vrais sentiments l'un envers l'autre, après avoir réfléchi à notre rapport et à mon amitié avec Manon, j'ai quelque chose à t'avouer. Que tu me comprennes bien, mon chéri, avec ce que je vais te dire - et en plus que tu me pardonnes !
.... Avant que la guerre ne commence, j'avais un petit ami qui s'appelait Maximus. Après avoir fait ta connaissance dans la traboule ce fameux jour-là où Manon pleurait sans cesse à cause d'avoir perdu son bracelet, tu sais que moi j'ai flashé pour toi et j'ai tout de suite compris que toi aussi tu avais le coup de foudre pour moi. Bref, je te raconte tout cela avec l'espoir que tu continueras à m'écrire pendant ces temps difficiles et pour que tu saches que Manon pense continuellement à toi. Or, je désire rester amis - mais il fallait que je te prévienne de ce changement de sorte que tu le comprennes car Maximus et moi nous sommes déclaré notre amour l'un envers l'autre.


40 ans plus tard
Les lettres d'Aline trouvées par sa petite-fille Magali

Le 18 juin 1979

....Cher Papi
....Je viens de faire une découverte assez importante à propos de Mami, toi et un certain Laurent pendant la deuxième guerre mondiale. J'espère que ce dont je te parle ne va pas te faire pleurer, mais ici j'ai trouvé un coffre plein de lettres dans le grenier de votre première maison où, cet été, je passe deux semaines avec mon amant Jeannot.
....On n'a pas voulu les lire mais c'était inévitable. Quand tu reviendras ici la prochaine fois, elles se trouveront sur ton lit. Le contenu est intime, bien sûr, puisque ça parle des rapports amoureux entre Mami et toi et un certain Laurent. Quoique chère Mami et Laurent soient ... morts maintenant.

Susie

 

Aline et Laurent

- Une correspondance -
de
S
andra Vanausdal

 

Description d'un de nos personnages

....Laurent, lycéen, a dix-huit ans. Sophistiqué et beau, il fait attention à lui. Avec un visage ouvert aux yeux bleus étincelants, il porte des lunettes qui lui donnent un air sérieux mais rassurant. Toujours vêtu d'un pantalon couleur kaki et d'un tee-shirt d'une griffe haute gamme, il s'occupe de son apparence. Il s'entretient en faisant de la musculation au club trois fois par semaine.

Lyon, le 8 juillet 1939

....Chère mademoiselle,
....Permettez-moi de me présenter. Je m'appelle Laurent BERNARD. Cet après-midi en circulant dans le Vieux Lyon, j'ai eu le grand plaisir de faire la connaissance de votre cousine ravissante, Aline. Tout affolée, elle était en train de chercher sa gourmette dans une traboule. Ne voulant pas avoir trop l'air de la draguer, je me suis permis d'aller quand même à sa rescousse. Là, ensemble, dans ce passage humide, j'ai été pris par son charme à la fois aguichant et insolite. On a repéré un petit objet doré, ruisselant dans un coin sombre. Le bracelet ! Heureuse, elle a accepté de dîner avec moi dans un bouchon renommé.
....Lors de ce dîner, Aline et moi avons parlé de la pluie et du beau temps, mais à un moment donné, je l'ai sentie réticente. J'ai appris son angoisse en ce qui vous concerne. Etant donné cette période difficile, voire honteuse pour l'Europe, elle est médusée par l'idée que les Allemands vous poussent vers un ailleurs inacceptable. C'est pour cela que je vous écris aujourd'hui car j'ai quelques idées à vous proposer. Si nous nous écrivions ? Admettons que cette correspondance puisse poser de forts problèmes, étant donné la gravité de votre situation, je trouve qu'il faut prendre des risques.
....J'attends donc votre réponse sous peu.
....Avec toutes mes amitiés,
....Laurent

Lyon, le 30 juillet 1938

....Chère Manon,
....J'ai été heureux de te lire. Maintenant que l'on est à tu et à toi, ça me gêne moins de te faire certaines confidences. J'ai la grande honte de t'avouer que mon père joue un rôle important dans le gouvernement Pétain. Eh oui, c'est un sacré collabo ! Lors de ma dernière visite chez mes parents le torchon brûlait, ma foi ! Je suis monté sur mes grands chevaux en leur disant leurs quatre vérités. " Ah famille, je vous hais ! " Ça y est … dorénavant je ne me considère plus comme un BERNARD. Je leur ai annoncé que j'allais quitter le Collège Sacré Cœur pour de bon et entrer dans la Résistance. A bas les Boches ! Ceci dit, je garderai sûrement le contact avec toi ; d'ailleurs, je t'enverrai bientôt les noms des copains en qui tu peux faire confiance ! Je te souhaite bonne continuation.
....En attendant de te lire.
....Amicalement,
....Laurent

Lyon, le 2 août 1938

....Chère Aline,
....Je réfléchis toujours à ce dîner délicieux que nous avons pris à Lyon. Ça a été un véritable régal dont je garderai toujours de beaux souvenirs ! Peut-être aurons-nous d'autres aventures gastronomiques ? On peut toujours espérer mais vu cette période politique sous Pétain, ce n'est pas évident ! C'est pour cela que je m'évertue le plus possible à me reposer, à m'amuser. Tiens, pendant cette belle saison de farniente, j'ai même retrouvé ma bande dessinée fétiche, Spirou. Je me suis bien marré hier en lisant les aventures de Spirou et de son inséparable compagnon, l'écureuil Spip ! Ça me rappelle les plus beaux jours de mon enfance, bien plus paisibles que ceux-ci.
....L'autre jour j'ai découvert le journal que je tenais à cette époque. Quel plaisir de me remémorer mes anciennes vacances prises chez mamie et papie à Aix-les-Bains. Et comme la vie a bien changé depuis ! Pour cette raison je vais m'engager encore une fois à tenir un journal. Mais cette fois-ci mes réflexions seront moins ludiques, moins banales. Après tout je n'ai plus dix ans. Par contre, je veux y raconter mes émois, mes sentiments les plus profonds en ce qui concerne quelques nouvelles connaissances que je viens de faire. En fait de filles, je ne connais que mes sœurs. Mais depuis notre rencontre je sens que je m'épanouie dans ce domaine.
....Je t'embrasse fort,
....Laurent


Lyon, le 16 août 1938

....Ma chère Aline,
....Je ressens ton désarroi en ce qui concerne ta cousine Manon. Les Allemands sont plus que fous, ce sont des monstres ! Comme je parle souvent maintenant avec mes collègues dans le maquis je suis toujours au courant des machinations des Boches ! Pour le moment, Manon ne doit pas trop s'inquiéter. Pourtant, si elle sort de chez elle et qu'elle aille à ses cours, il conviendra qu'elle le fasse avec ses copines. A plusieurs, on est toujours plus en sécurité. De toute façon, je lui ai déjà envoyé des tuyaux pour éviter de se faire remarquer aussi bien que des adresses des copains qui pourront l'héberger au cas où !
....J'espère que tu te sens un peu plus rassurée maintenant. J'aimerais aussi que l'on se revoie. Quant à ton copain, Maximus … en apprenant que vous sortez ensemble depuis un an je t'avoue avoir été déçu ! Mais cela n'empêche pas que nous nous fréquentions de temps en temps. Je t'ai déjà parlé du journal intime que je me suis remis à tenir. Eh bien l'autre soir, comme je réfléchissais à notre amitié - notre amour, si j'ose dire, j'ai écrit l'entrée suivante, tout en m'inspirant de Victor Hugo :
....Que cette douce Aline était belle sous le ciel bleu d'été, sous les platanes, avec des roses en fleurs au-dessus de sa tête. En effet la nature semblait faire une fête autour d'elle. Les arbres et les fleurs la connaissent et la saluent. Ah, mon Aline est reine dans ce monde charmant des choses qui embaument et qui s'épanouissent comme elle est reine dans mon cœur.
....Je constate, ma chère Aline, qu' en fait, nous avons une relation qui va au-delà de l'amitié. S'agirait-t-il d'amour ? J'avoue que de ma part, ça a été le coup de foudre le moment où je t'ai aperçue dans les traboules. Réfléchis donc à notre relation ; y a-t-il de la place dans ta vie pour moi ?
....En attendant ta réponse, je reste ton fidèle Laurent.


Lyon, le 2 septembre, 1938

....Ma très chère Aline,
....Que ta lettre m'a remonté le moral ! Qui aurait deviné que ce salaud de Maximus est un collabo ?! Hélas, c'est une honte ! Mais le fait que tu n'auras plus affaire à ce lâche me donne de l'espoir. Tu m'aimes ! Dorénavant je serai en mesure d'affronter toute difficulté, que ce soit avec ma famille, les études ou la guerre. Comme Claude Debussy, qui a cueilli des violettes pour sa femme, moi aussi, j'ai cueilli des roses pour toi. Mais tu n'es pas là. Alors, comme Debussy, je me demande, pourquoi y a-t-il des roses ?
....Je t'aime de tout mon cœur,
....Laurent


40 ans plus tard
L'affaire reprend. La petite fille de Laurent, montée chercher sa valise dans le grenier, découvre un coffre mystérieux !

Beynost, le 20 juillet, 1978

....Coucou Emilie,
....Je suis impatiente de te revoir à Aix. Tu comprends bien qu'au départ je suis censée faire un stage à l'Institut dans la Rue Bon Pasteur. Il paraît que les profs sont formidables. Un certain cours d'écrit où l'on voyage à travers l'écriture a l'air vachement intéressant !
....Mais ne t'inquiète pas, on aura le temps de découvrir tous les petits villages de la région comme Gordes, Roussillon, Antibes et St. Paul de Vence. Et puis, avec cette canicule, on va se baigner. On va se taper de la Côte d'Azur, quoi.!
....Mais maintenant je passe aux choses un peu plus sérieuses. Ce matin j'ai découvert une boîte cachée dans un recoin sombre du grenier. A vrai dire, je me suis retrouvée médusée devant ce coffre couvert de poussière. Voilà une photo du contenu.



....En effet, il s'agit des journaux intimes de mon grand-père, Laurent. Ce matin, j'ai parcouru pas mal de pages sans ressentir de gêne puisque l'auteur, donc mon grand-père est parti depuis longtemps. Je découvrais une partie de sa vie que j'ignorais. J'ai été à ce moment-là bouleversée et, en même temps ; très fière de son passé héroïque dans le maquis. J'ai ressenti son chagrin quand Aline lui a préféré Maximus. Après tout, elle l'avait fait languir tout l'été de 38 pour rien. La garce ! Même s'il en a souffert, il s'est sans aucun doute bien remis le jour où il a fait la connaissance de Bonne Maman. Et je peux t'avouer que je ne regrette rien car, moi, je suis là !

....Donc, on a plein de trucs à discuter … surtout de ma rencontre insolite l'autre jour dans les traboules !

....Gros bisous ma cocotte,
....Maryline

Sandra VANAUSDAL

 

 

Aline et Laurent

- Une correspondance -
de
M
aria Benson


PREMIERE LETTRE

....Chère Aline,
....Il faut te dire que si je ne finis pas cette lettre c'est parce que les
soldats allemands passent au-dessous de ma fenêtre et j'ai peur. Les villageois, tous peureux et se méfiant les uns des autres, restent cachés derrière les rideaux des vieilles bastides et maisons. Tu sais qu' étant d'origine Corse, et la préférée de la maîtresse, elle aussi d'origine méditerranéenne, j'ai des traits qui pourraient me faire passer pour une jeune Juive. Toi, ma meilleure cousine, Aline, qui habitais à côté, me disais qu'avec mon nom de Manon, personne n'allait m'arracher de chez moi comme l'on a déjà fait avec plusieurs voisins. Mon nez, pointu comme celui de papa, est un trait que j'ai toujours voulu changer parce que les garçons se moquent de moi. J'ai la peau couleur olive ce qui me distingue un peu des autres de notre village en Normandie. A l'école, mes matières favorites sont le français et les arts plastiques. J'écris de la poésie et le soir, je la lis avec maman. Tu me manques beaucoup depuis ton départ pour Lyon.

DEUXIEME LETTRE

....Chère Aline,
....Toi, tu ne changes jamais ! En lisant ta lettre, où tu parles de Laurent, tu me rends jalouse . Tu ne dis pas si tu as retrouvé ton bracelet ; sa perte, sans doute, t'a bouleversée . Peut-être qu'il est identique à celui que ton pépé t'a offert quand tu étais toute petite ?
....En décrivant tes rencontres tu me transportes là où tu es, faisant la connaissance de ce Laurent qui paraît sympa et gentil. Mais son père ! Si j'étais toi je l'éviterais comme la peste. Il y a des collabos comme lui partout. Tout cela sert à diviser les familles.
....Il vaudrait mieux que Laurent quitte sa famille pour aller rejoindre la Résistance. Supposons que les alliés arrivent tôt, alors il se peut qu'on se revoie parce que papa a annoncé hier soir au dîner ses projets pour un voyage familial à Lyon. Quelle joie si ça pouvait se faire et si on sortait tous ensemble, Laurent inclus ? Que c'était sympa de sa part de m'avoir écrit une lettre dans laquelle il te décrit.

TROISIEME LETTRE

....Cher Laurent,
....Tout d'abord, merci de ta lettre que j'ai reçue le même jour qu'une lettre d'Aline où elle dit qu'elle t'a parlé de mon dilemme. Ayant peur de t'impliquer dans ma situation, j'hésite à accepter ton aide. Cependant, je n'ai aucun autre chemin à suivre.
....Hier soir, on a entendu un appel du Général de Gaulle à la BBC et dans un message passionné il a incité les Français à lutter contre l'ennemi caché partout parmi nous et qui occupe notre pays pendant cette période triste de notre histoire . Il a constaté que les Français sont un peuple glorieux et courageux. Jean Moulin est le héros de tous ceux qui rêvent à une France libérée des Boches.
....Ainsi donc, c'est à cet égard que je t'encourage, malgré les obstacles, à te
mettre en contact avec la Résistance. Bref, envoie-moi vite les possibilités que tu me proposes .

QUATRIEME LETTRE

....Ma chère Aline,
....Après avoir lu et relu la dernière lettre de ton nouveau copain Laurent, j'ai eu envie de faire un petit tour dans le village et passer voir le vieux châtelain, M. Francparlant, un ancien artiste et poète de la Belle Epoque. Il est réconfortant de se trouver en sa présence; ça me rassure parce qu'il connaît et comprend si profondément l'histoire. Ainsi m'a-t-il expliqué que pendant la première guerre, lui aussi, a eu des craintes d'être pris par les Allemands. Pour me distraire et me faire rire un peu, il a fouillé dans un tiroir pour chercher de vieilles BD de
Tintin. On a bien rigolé ; Cela m'a fait du bien de m'échapper un peu.

CINQUIEME LETTRE

....Chers amis,
....Aujourd'hui encore j'ai senti le besoin de retrouver mon voisin M. Francparlant. Je suis totalement bouleversée à cause de ce qui vient de se passer. Aussi aurait-il mieux valu de vivre pendant un autre siècle. Malgré nos progrès en science et médecine le monde est devenu encore plus barbare.
....Il était tard, il y a deux nuits, et je me promenais dans un petit sentier
avec le chien quand un groupe de soldats allemands m'a interrogée et a insisté que je leur montre mes papiers d'identité. Certes, j'aurais voulu rentrer chez moi, mais, maman en ce moment, souffre d'une crise de nerfs et tout ça l'aurait mise dans un état insupportable. C'est pourquoi je suis rentrée chez mon ami le châtelain. Cette visite a été vachement triste car en arrivant chez lui je l'ai trouvé en larmes. Il venait de recevoir une lettre de sa sœur. Elle faisait
partie de la Résistance et elle a été enlevée par les SS. Elle lui avait écrit une lettre juste avant parce qu'elle savait qu'ils venaient pour elle.



SIXIEME LETTRE

....Cher Laurent,
....Si Aline t'a montré ma dernière lettre, tu sauras que quand je me promenais et que j'allais chez mon copain j'avais plus peur que jamais. Une fois chez lui, je l'ai trouvé à l'extrême de ses forces. Si j'avais pu faire quelque chose pour lui j'aurais dit des mots réconfortants et encourageants mais quand je pense à la réalité de notre vie et que le réel pour nous c'est qu'il n'y a pas d'avenir sûr, je me tais et laisse parler le silence entre nous. Les yeux rouges de tristesse, et pour la première fois depuis que je le connais il est resté muet par manque de paroles. Enfin, quand il a eu dit ce qui le gênait ça a été à moi de pleurer. Des larmes de compassion et des larmes de lassitude et de résignation.


SEPTIEME LETTRE

....Chers amis,
....Que cette lettre vous trouve en bonne santé et que vous ayez pu résoudre les questions sur Maximus et le fait qu'il soit aussi collabo ! Ma crainte et mon désir sont qu'Aline soit heureuse et que vous deux résistiez aux exigences des Allemands. Il est essentiel que nous, les Français, gardions notre langue et notre liberté d'esprit, deux qualités pour lesquelles la civilisation occidentale nous a reconnus tout au long de l'histoire.
.... Depuis ma dernière visite à M. Francparlant, j'ai commencé à relire la poésie des Romantiques. C'est vrai qu'à travers la littérature on échappe à une vie qui ne semble pas valoir la peine de vivre tant qu'on est entouré de barbarie. Bien que Lamartine, Hugo, etc. aient vécu pendant le siècle précédant, ils nous parlent maintenant d'une voix universelle de sorte que je me sens poussée à écrire, pour ma part, des vers.
....Préparons-nous au cas où vous ne recevriez pas d'autres nouvelles de moi.

SEPTIEME LETTRE
A son frère à New York, après la découverte des lettres de Manon par sa fille, qui habite toujours en Normandie.

....Cher François,
....Comme ça a été rassurant pour nous tous que tu sois revenu en France pour les obsèques de maman. Jusqu'à son dernier moment elle a parlé de toi d'une fierté à la fois maternelle et d'une façon intellectuelle. Elle avait fait traduire tous les articles que tu as écrits pour Atlantic Monthly ; en particulier ceux sur l'histoire de France. La lecture de ces articles a chaque fois régalé les invités à la maison, après un bon dîner et plusieurs bouteilles d'un bon Bordeaux. Lorsqu'on leur avait fait apprécier le dernier, et que chacun des invités avait ajouté sa part à la discussion, elle le pliait et le mettait méticuleusement dans une vieille boîte
qu'elle gardait dans l'armoire de son grand-père. Il faut te dire que tu me manques beaucoup.
....Comme j'aurais voulu t'avoir près de moi quand j'ai découvert hier dans la même armoire un paquet de lettres pliées avec un ruban. Quelle découverte j'ai faite ! Et pour toi, l'écrivain, quel trésor littéraire ! C'étaient des lettres qu'elle avait reçues de deux amis pendant la guerre ! Quand est-ce que tu reviendras ? ....Je vais organiser une fête dans le village et on va faire une lecture dans la tradition de maman.

Maria