Discours de victoire de Barack Obama le soir du 4 novembre
LE MONDE | 08.11.08 | 14h45  •  Mis à jour le 09.11.08 | 10h39

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i quelqu'un doute encore que l'Amérique est un endroit où tout est possible, qui se demande si le rêve de nos fondateurs est vivant (...), la réponse lui est donnée ce soir.

C'est la réponse donnée par des jeunes et des vieux, des riches et des pauvres, des démocrates et des républicains, des Noirs, des Blancs, des Hispaniques, des Asiatiques, des Amérindiens, des homosexuels, des hétérosexuels, des handicapés et des non-handicapés. Par des Américains qui ont montré au monde que nous n'avons jamais été une simple collection d'individus ou un simple ensemble d'Etats rouges (républicains) et bleus (démocrates).

Nous sommes, et serons toujours, les Etats-Unis d'Amérique.

L'attente a été longue, mais ce soir (...) l'Amérique a connu ce moment déterminant du changement. Nous avons démarré avec peu d'argent et peu d'appui. Notre campagne ne s'est pas forgée dans les coulisses de Washington. Elle a débuté dans les arrière-cours de Des Moines, dans les salles de séjour de Concord, sur les vérandas de Charleston. Elle s'est construite sur les contributions d'hommes et de femmes qui ont puisé dans leurs maigres économies pour donner 5, 10 ou 20 dollars à notre cause.

Elle a pris de l'ampleur grâce aux jeunes qui, rejetant le mythe d'une génération dite apathique, ont quitté maison et parents pour s'engager dans un travail qui leur procurerait une rémunération minime et encore moins de sommeil.

Elle a aussi puisé de la force chez des personnes pas si jeunes que cela, qui ont bravé le froid glacial et la chaleur étouffante pour frapper à la porte de parfaits étrangers (...), et qui ont prouvé que, plus de deux siècles plus tard, le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple n'avait pas disparu.

C'est votre victoire. Je sais que vous l'avez fait parce que vous comprenez l'énormité de la tâche qui nous attend. Le chemin sera long. La montée sera rude. Nous n'y arriverons peut-être pas en un an ni même en un mandat. Mais nous n'avons jamais été si persuadés que ce soir d'y arriver.

Imprégnons-nous, alors, de ce nouveau sentiment de patriotisme et de responsabilité, par lequel chacun d'entre nous décide de participer davantage (...). Souvenons-nous que, si cette crise financière nous a appris quelque chose, c'est que nous ne pouvons pas avoir une Bourse florissante quand l'homme de la rue souffre (...).

Résistons à la tentation du retour aux vieilles querelles politiques, à la mesquinerie et à l'immaturité qui empoisonnent notre vie politique depuis trop longtemps.

Cette élection est émaillée de faits inédits (...) dont on parlera pendant des générations. Il en est un, cependant, qui me tient à coeur ce soir, au sujet d'une femme qui a déposé son bulletin de vote dans une urne d'Atlanta. Elle est semblable aux millions d'autres qui ont fait la queue pour exprimer leur choix lors de cette élection, à ceci près : Ann Nixon Cooper a 106 ans.

Elle est née une génération seulement après l'esclavage (...), à une époque où une personne comme elle ne pouvait pas voter, pour deux raisons : parce qu'elle était une femme et à cause de la couleur de sa peau.

Ce soir, je songe à tout ce qu'elle a vécu au cours de son siècle parmi nous : la douleur et l'espoir ; la lutte et le progrès ; les moments où on nous disait : non, vous ne pouvez pas, alors que d'autres ne cessaient de proclamer le credo américain : oui, nous le pouvons.

Elle était là pour les bus de Montgomery, pour les lances à eau de Birmingham, pour un pont à Selma et pour un prédicateur d'Atlanta qui proclamait au peuple : "We shall overcome" ("Nous vaincrons"). Oui, nous le pouvons.

Un homme a débarqué sur la Lune, un mur s'est effondré à Berlin, une communication mondiale s'est instaurée par notre science et notre imagination. Et cette année, en cette élection, elle a touché du doigt un écran d'ordinateur pour voter, car après 106 ans de vie parmi nous, après avoir vécu dans les temps les meilleurs comme aux heures les plus sombres, elle sait exactement comment notre pays peut se transformer. Oui, nous le pouvons.


Article paru dans l'édition du 09.11.08