Rama Yade : « Obama a gagné parce qu’il était meilleur pas parce qu’il est noir » A 32 ans, Rama Yade est la benjamine du gouvernement français mais aussi la première femme noire à accéder à une fonction ministérielle. Elle se défend régulièrement d’avoir été choisie pour sa couleur de peau et espère qu’Obama a été élu pour ses compétences. La secrétaire d’Etat chargée des Affaires étrangères et des Droits de l’Homme a accepté de répondre aux questions d’Afrik.com sur la victoire de Barack Obama. Interview
Je pense qu’Obama a été élu non pas parce qu’il est noir mais parce qu’il a été meilleur. Son accession au pouvoir est certes un modèle de réussite, un exemple pour les minorités. Mais son élection ne s’explique pas par sa couleur de peau. Qui peut imaginer que les Blancs ont voté pour lui parce qu’il est noir ? Personne. En revanche, il a gagné parce qu’il a porté un message fort dans lequel tous les Américains ont pu se retrouver. Ce n’est pas la victoire d’une minorité mais le rassemblement d’une nation derrière un homme, un style, des idées, une vision de société. Aujourd’hui il n’y a pas une Amérique noire et une Amérique blanche, tout le monde est réuni sous les mêmes couleurs américaines. Pensez-vous qu’un tel événement soit possible en France ? Ce sera possible le jour où un des grands partis de gouvernement, le PS ou l’UMP, présentera un candidat noir à l’élection présidentielle. Mais pour cela, il faut que les partis changent. Des noirs ont déjà été candidats à la présidentielle en France : Christiane Taubira, Dieudonné, Stéphane Pocrain… mais ils n’étaient pas affiliés à un grand parti ou alors ils étaient indépendants. Je suis étonnée aujourd’hui de voir tous les responsables politiques se féliciter de l’élection d’un Noir à la Maison blanche. Mais en France, dès qu’il s’agit d’en présenter un à une place éligible, il n’y a plus grand monde pour le soutenir. La classe politique américaine est donc moins conservatrice ? L’élection d’Obama prouve qu’il y a beaucoup moins de conservatisme aux Etats-Unis. La différence tient aussi au fait que la réalité politique n’est pas la même. Aux Etats-Unis l’élection d’Obama est l’aboutissement de quarante ans de mouvements civiques. Un processus long et douloureux. Est-ce que les Français vous paraissent plus prêts que leurs dirigeants à élire un noir ? Oui, je pense. Des sondages ont montré que 80% des Français y sont prêts. Les Français ne me paraissent pas en retard sur l’évolution de la société. Est-ce que les quotas en vigueur aux Etats-Unis ont pu favoriser Barack Obama ? Dans son parcours, il en a bénéficié. L’action positive a été un élément essentiel pour faire émerger une classe moyenne aux Etats-Unis. Cependant, tous ceux qui en ont bénéficié ne sont pas devenus pour autant présidents des USA. Je pense donc que c’est son talent qui a fait la différence. Vous avez dit lundi dernier à Reims, lors de l’hommage rendu par la France aux soldats de la Force Noire, que reconnaître le rôle des étrangers qui avaient combattu pour la France était beaucoup plus utile que toutes les mesures de discrimination positive… J’ai dit que les tirailleurs avaient joué un rôle déterminant dans la première guerre mondiale. Ils ont aimé la France jusqu’à mourir pour elle. Cette mémoire des tirailleurs est très importante si l’on veut apaiser les tourments identitaires des jeunes Français issus de l’immigration. Quant à l’action positive, elle est un bon moyen pour les aider à mettre le pied à l’étrier : leur reste après, par leurs capacités personnelles, à faire la différence. Il faut être méritant pour réussir.. Mon idée était d’évoquer une mémoire qui rassemble et non une mémoire qui divise. Il faut dépasser la guerre des mémoires. C’est ce qu’a réussi à faire Obama aux Etats-Unis ? Dépasser une mémoire délicate ? Sa victoire est symbolique c’est sûr. Mais les Etats-Unis ne sont pas encore passés dans l’ère du post-racial et Obama est lucide là-dessus. Le défi est immense. Reste que désormais chaque minorité peut se dire que tout est possible. Chacun a le droit d’accéder à ce rêve. Obama est le symbole parfait du métissage, de l’Amérique d’aujourd’hui. Sa victoire est celle de la jeunesse, de l’audace et du changement. Vous avez évoqué le renouvellement indéfini des mandats comme un obstacle possible à l’accès des jeunes générations et des minorités au pouvoir. Que vouliez-vous dire par là ? C’est tout le problème du conservatisme. Je pense qu’il faudrait pouvoir limiter les mandats législatifs. C’est ce que Nicoals Sarkozy a fait avec le mandat présidentiel qui ne peut excéder deux quinquennats et c’est très bien comme ça. L’idée n’est pas de pousser les élus vers la sortie. Si ces gens sont élus et réélus c’est qu’ils font du bon travail mais je pense qu’après trente ans de mandat on peut quand même passer la main. Obama n’a que 47 ans. Il est jeune. Il a eu sa chance aussi parce que les mandats aux USA sont courts. Pour finir, pensez-vous que son élection, qui a été largement fêtée en Afrique, va changer quelque chose sur le continent noir ? Il faut se rappeler quand même qu’il a été élu président des Etats-Unis pas d’Afrique ! Certes il a sûrement une sensibilité différente sur les sujets africains que ses prédécesseurs, du fait de son origine kenyane. Par exemple, lorsqu’il était sénateur, il était très sensible à la crise du Darfour. Mais, en tant que Président, il va d’abord défendre les intérêts américains et c’est normal. Il est Américain avant tout. |
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Auteur: Source : Afrik.com |