Quoi de plus représentatif d'une culture, d'un regard sur le monde, d'une manifestation esthétique qu'un jardin. Qu'il prenne la forme d'un parc ou qu'il soit la création d'un particulier, un jardin est imprégné de l'histoire et des goûts parfois personnels, quelquefois nationaux de son créateur ou de sa créatrice.
Quand on parle d'un jardin dit « à la française », viennent à l'esprit les notions de géométrie et de symétrie.
Pour un jardin japonais, il lui faut un pont, une pagode, des lanternes, des pierres plates espacées, une tige de bambou dévidant son filet d'eau, des poissons rouges dans une étendue d'eau aux bords aménagés prenant ici la forme d'une plage de galets ou là de sable ratissé présentant des nervures ondulées, et, partout, des plantes, des arbustes et des fleurs, le tout ainsi créé ayant pour but de faciliter la méditation du promeneur.
Un jardin anglais offre au promeneur une série de salles tantôt verdoyantes, tantôt fleuries avec, très souvent, une pelouse entourée de massifs soulignant des lignes principalement courbes.
Le jardin arabe avec ses multiples plans d'eau carrés, rectangulaires ou en cercle privilégie les formes géométriques et symétriques dans la maçonnerie des bassins et des allées y conduisant, et donnant aux façades des bâtiments qui les entourent l'occasion de s'y refléter.
Quant au jardin italien, il se reconnaît principalement par l'architecture de pierre qui l'accompagne et ses nombreuses statues.
Le paysagiste de ces jardins anoblit la nature, l'embellit, la modifie et le regard du visiteur ne peut que s'émerveiller devant des perspectives soigneusement travaillées.
Ceci dit, quand on parle de jardins d'agrément, il y a des civilisations avec des jardins et d'autres sans jardins. Un de mes collègues français d'origine camerounaise, Romuald Fonkoua, professeur à la Sorbonne et à l'École française de Middlebury College, me disait que cela pourrait expliquer en partie leur absence dans les empires africains comme celui du Mali, d'Éthiopie, ou des Grands Lacs et le fait que je n'ai, sur ce site, aucun jardin d'agrément d'Afrique subsaharienne. L'Art africain n'a, du reste, pas nous plus produit d'œuvres paysagères, à sa connaissance. Cependant, il est difficile d'imaginer sans jardins d'agrément les palais princiers, royaux et impériaux des grandes civilisations africaines des 14e, 15e et 16e siècles. « L'autre » s'y est mis pour reprendre une formule du grand artiste nigérian-britannique Yinka Shonibare et les paysagistes des jardins d'agrément, que l'on peut maintenant admirer en terre d'Afrique noire, ont tous trouvé leur inspiration dans des modèles issus de la colonisation.
Voilà pour le design des jardins. Mais qu'en est-il des plantes, arbustes et fleurs qui les ornent ? Leurs variétés, couleurs, tailles contribuent toutes à créer des harmonies et des symphonies savamment construites par les jardiniers et qui font qu'on se déplace pour les admirer. Ces jardiniers, véritables ouvriers de la terre, comprennent depuis longtemps l'entraide que les plantes se donnent l'une à l'autre. Ils peuvent faciliter l'implantation d'une nouvelle espèce en lui proposant un entourage propice à son développement. Ils savent en contrôler d'autres, dites agressives, qui mettent en danger la survie de l'ensemble. Ils savent mettre en valeur leurs variétés et les terrains qui les nourrissent.
Dans un monde de plus en plus interdépendant, où l'humanité est invitée à toujours davantage se brasser, les Jardins du Monde dévoilent aux regards du promeneur une complexité propice à une réflexion sur un vivre ensemble rendu indispensable pour sa survie et pour celle de la planète. Sachons alors ouvrir les yeux sur des exemples qui nous élèvent au dessus de la médiocrité et qui peuvent servir de modèles.
Chaque page de ce site invite le visiteur à faire des liens entre des pratiques ancestrales de culture et des philosophies de la vie ancrées, certes, dans un passé distinct mais tournées, je l'espère, vers un avenir fait de convergence où des espèces exotiques apprennent à se fondre harmonieusement dans des milieux autrefois hostiles.
S'unir autour de valeurs respectueuses de diversité en créant de la beauté, converger vers des idéaux d'harmonie où le végétal et l'architectural se marient, cultiver son propre jardin, c'est aussi proposer de continuer de s'émerveiller devant des lieux qui privilégient la méditation tout en travaillant.
En conclusion, je propose celle que l'on trouve au chapitre XXX dans Candide de Voltaire :
Pendant cette conversation, la nouvelle s’était répandue qu’on venait d’étrangler à Constantinople deux vizirs du banc et le muphti, et qu’on avait empalé plusieurs de leurs amis. Cette catastrophe faisait partout un grand bruit pendant quelques heures. Pangloss, Candide, et Martin, en retournant à la petite métairie, rencontrèrent un bon vieillard qui prenait le frais à sa porte sous un berceau d’orangers. Pangloss, qui était aussi curieux que raisonneur, lui demanda comment se nommait le muphti qu’on venait d’étrangler. « Je n’en sais rien, répondit le bonhomme ; et je n’ai jamais su le nom d’aucun muphti ni d’aucun vizir. J’ignore absolument l’aventure dont vous me parlez ; je présume qu’en général ceux qui se mêlent des affaires publiques périssent quelquefois misérablement, et qu’ils le méritent ; mais je ne m’informe jamais de ce qu’on fait à Constantinople ; je me contente d’y envoyer vendre les fruits du jardin que je cultive. » Ayant dit ces mots, il fit entrer les étrangers dans sa maison ; ses deux filles et ses deux fils leur présentèrent plusieurs sortes de sorbets qu’ils faisaient eux-mêmes, du kaïmak piqué d’écorces de cédrat confit, des oranges, des citrons, des limons, des ananas, des dattes, des pistaches, du café de Moka qui n’était point mêlé avec le mauvais café de Batavia et des îles. Après quoi les deux filles de ce bon musulman parfumèrent les barbes de Candide, de Pangloss, et de Martin.
« Vous devez avoir, dit Candide au Turc, une vaste et magnifique terre ? — Je n’ai que vingt arpents, répondit le Turc ; je les cultive avec mes enfants ; le travail éloigne de nous trois grands maux, l’ennui, le vice, et le besoin. » ...
— Je sais aussi, dit Candide, qu'il nous faut cultiver notre jardin.
— Vous avez raison, dit Pangloss ; car, quand l’homme fut mis dans le jardin d’Éden, il y fut mis ut operaretur eum, pour qu’il travaillât : ce qui prouve que l’homme n’est pas né pour le repos. — Travaillons sans raisonner, dit Martin ; c’est le seul moyen de rendre la vie supportable. »
Toute la petite société entra dans ce louable dessein ; chacun se mit à exercer ses talents. La petite terre rapporta beaucoup. Cunégonde était, à la vérité, bien laide ; mais elle devint une excellente pâtissière ; Paquette broda ; la vieille eut soin du linge. Il n’y eut pas jusqu’à frère Giroflée qui ne rendît service ; il fut un très bon menuisier, et même devint honnête homme ; et Pangloss disait quelquefois à Candide : « Tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles : car enfin si vous n’aviez pas été chassé d’un beau château à grands coups de pied dans le derrière pour l’amour de Mlle Cunégonde, si vous n’aviez pas été mis à l’Inquisition, si vous n’aviez pas couru l’Amérique à pied, si vous n’aviez pas donné un bon coup d’épée au baron, si vous n’aviez pas perdu tous vos moutons du bon pays d’Eldorado, vous ne mangeriez pas ici des cédrats confits et des pistaches.
— Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin[1]. »
Un petit coin de paradis avec Jean-Jacques Rousseau
Sur le penchant de quelque agréable colline, bien ombragée, j’aurais une petite maison rustique, une maison blanche avec des contrevents verts ; et quoiqu’une couverture de chaume soit en toute saison la meilleure, je préférerais magnifiquement, non la triste ardoise, mais la tuile, parce qu’elle a l’air plus propre et plus gai que le chaume, qu’on ne couvre pas autrement les maisons de mon pays et que cela me rappellerait un peu l’heureux temps de ma jeunesse.
J’aurais pour cour une basse-cour et pour écurie une étable avec des vaches, pour avoir du laitage, que j’aime beaucoup. J’aurais un potager pour jardin et pour parc un joli verger semblable à celui dont il sera parlé ci après. Les fruits, à la discrétion des promeneurs, ne seraient ni comptés ni cueillis par mon jardinier, et mon avare magnificence n’étalerait point aux yeux des espaliers superbes, auxquels on osât à peine toucher. Or, cette petite prodigalité serait peu coûteuse, parce que j’aurais choisi mon asile dans quelque province éloignée, où l’on voit peu d’argent et beaucoup de denrées, et où règnent l’abondance et la pauvreté.
Fin du Chapitre IV de l'Émile
Cette chanson est accompagnée du système Alexandria. Double-cliquez sur le mot dont vous voulez connaître le sens.