(Elle est assise sur un banc, pensive, accablée. Il arrive lentement. Il semble fatigué, ses chaussures sont poussiéreuses. Il s'arrête))
Lui (posant cette question pour savoir si l'autre place sur le banc est libre et s'il peut l'occuper) : Vous attendez quelqu'un ?
Elle (regard vide) : Non, moi, je n'attends plus personne.
(Un temps. Surpris par le fond et la forme de sa réponse, il hésite. Finalement, il s'assied)
Elle (durement) : Qu'est-ce que vous faites ?
Lui : Je m'assieds.
Elle : Je vous ai dit que je n'attendais personne !
Lui (dans cette réplique, on doit comprendre qu'il ne voulait qu'occuper la place laissée libre sur le banc, sans plus) : Oui, justement, je pensais que...
Elle (le coupant avec brusquerie) : J'ai envie d'être seule !
Lui : Désolé. (Il se lève) Je ne pouvais pas deviner, enfin je veux dire, je ne voulais pas...
Elle (le coupant à nouveau) : Taisez-vous !
Lui (encore surpris par tant d'agressivité) : Pardon ?
Elle : Taisez-vous ! Ne m'adressez plus la parole ! Ne me parlez pas !
Lui (restant debout) : Très bien d'accord.
(Un temps. Il la regarde avec insistance. Elle, elle garde la tête baissée mais sait qu'il la regarde)
Elle : Arrêtez de me regarder comme ça !
(Un temps. Il continue)
Elle : J'ai dit : arrêtez de me regarder comme ça ! Ça vous amuse de voir quelqu'un souffrir ?
Lui : Non, ça ne m'amuse pas. Ça ne m'amuse pas du tout. Bien au contraire. Ça me peine beaucoup. Je peux faire quelque chose pour vous ?
Elle : Oui ! Allez-vous en !
(Il reste)
Elle : Allez-vous en ! Je n'ai besoin de personne !
Lui : On a tous besoin de quelqu'un.
Elle (fort et sacarstique) : Ah ! ah ! ah !
(Un temps. Contre toute attente, il se rassied)
Elle : Vous cherchez quoi, là ?
Lui : Rien... Rien du tout.
Elle : Menteur ! Si vous croyez que je ne vous vois pas venir, là, avec vos yeux larmoyants et votre pitié toute prête à servir ! Allez-vous en !
Lui (très bas, comme pour lui-même) : Alors, vous faites comme ça, vous.
Elle : Hein ?
Lui (un petit peu plus fort) : Le refus, la révolte, l'agressivité. Moi, je ne peux même pas. Je marche, je marche, c'est tout.
Elle : Je comprends pas !
Lui : Ça n'a pas d'importance.
(Il se lève)
Elle (soudain, toujours agressive) : Vous auriez voulu que je vous fasse l'aumône d'une rencontre, c'est ça ?
Lui : Je ne sais pas.
Elle : Mais si ! Regardez-vous ! Vous êtes la tête de celui qui "cherche quelqu'un à qui parler" ! Désolée, vous avez frappé à la mauvaise porte ! C'est pas mon problème si vous êtes seul !
Lui : Ce n'est pas la solitude le problème.
Elle : Ah oui ! C'est quoi alors ?
Lui (hésitant) : C'est... c'est... le manque.
Elle (brusque mais bas) : Taisez-vous.
Lui (doucement) : Le manque, c'est pire que tout. Penser qu'elle est quelque part, peut-être tout prêt d'ici et que je ne peux pas la voir, pas la serrer dans mes bras, pas lui parler à l'oreille...
Elle (le coupant, très agressive à nouveau) : Assez ! Je vous interdis ! Je ne vous connais pas ! Vous n'avez pas le droit de me prendre en otage de vos histoires ! Allez-vous en !
(Il la regarde et part lentement)
Elle (après un temps, vers l'endroit où il est parti, elle crie) : Salaud !
(Noir)
auteur : Patrick de Bouter
dans :
Théâtre et FLE |